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L’ ALIENATION MENTALE
LA MfiDECINE LEGALE DES ALIENES.
UNNALES
■iDICO-PSTCHOLOeigOES
JOURNAL RESTINE A RECUEILllR TOES lES UOCUHENTS RELATIFS A
L’ALIENATION MENTALE,
ET A LA M^IDECINE LfiGALE DES ALI^N^S;
/ ^ ’ s bail LARGER
S«Jj?|triere, membre de rAcndemie itnp^rinle t\e meiiecliif,
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"f/ -JW'OREAU (DE TOURS)
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- '' TOME PREMIER.
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©It 6’abonne d ^aris,
A LA LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON,
PLACE DE t’EOOLE-DE-MEDEOIHE i
El chez tous Ics libraires de la France ei de I’dlranger.
1855.
JOVKIVAli
L’4LIEN4TI0N MENT4LE
^ LfiGALE DES ALIENES.
STRUCTURE
" ^J&hllC^ CORTICALE DES CIRCOMOLDTIONS DD CERYEAU.
La structure de la substauce corticale des circonvolutions du cerveau, telle queje I’ai decrite, il y a plus de dix ans, n’a, que je sache, £t6 coiitesl^e depuis par aucua anatoiniste, et I’exis- tence des six couches alternativement grises et blanches me parait 6tre aujourd’hui un fait acquis h la science (d).
Cependant IVlIVl. Foville et Gratiolet, tout en conOrmaut les r§sultats auxquelsjesuis arriv6, y bnt ajoutS un fait d’une cer- laine^importance.
« Nous adinettons toutes les observations de M. Baillarger, dit M. Foville, mais nous croyons en outre qu’aii-dessoqs de la derniere couche grise, une dernibre couche de mati^re blanche appartient encore en propre a la couche corticale. Cette ;der- ni6re couche suit en dedans . tons les replis de ceite couche, coname la pie-m6re les suit en dehors (2) . »
(1) Voy. Longct, ^nawmie da sy slime tierveux.
(2) Train de I’analomie, de la physiologie et de la pathologie du 'systime
nemwa;, t. Ij p. 475. • ’ • '
Ann*l, MKn.-PSYCB. 2's^rie, i. VII. Janvier 1855. I. 1
2 DE LA STRUCTURE DE LA COUCHE CORTICALE
II rfisulte de ce passage que ce n’est plus six couches, mais bien sepE, qui formeiaieht la substance corlicale des circonvo- lulious.
« Les fails que M. Baillarger a signalfe , dit M. Gratiolet , soni d’une exactitude irreprochable. J’ai vari6 mes preparations de toutes manibres, et toujoursiues recherchesontconfirm61es resultais qu’il a publics. Toutefois je me suis assure, par des preparations nombreuses, qu’aux couches qu’il a sigiiaiees, il faut en ajouter une septieme. Cette couche , formee de fibres blanches, double, dans toute son etendue, le systeine des couches corticales (1), »
On voit que M. Gratiolet adniet, com me M. Foville, une septieme couche dans I’organisation de la substance corlicale. , Lorsque la couche corlicale des circonvolutions se separe nel- tement de la substance blanche, ce qui a lieu surtout dans le fond des anfracluosites , elle reste en elfet comme doublee par une lame tr6s mince de cette substance: c’est un fait que j’ai bien des fois remarque, mais auquelje n’ai pas attache I’atteu- tion qu’il m6rilait.
Je ng veux point examiner et disculer ici la structure de cette couche blanche ni ses rapports avec la substance grise et avec les fibres rayonnantes; cette note a seulement pour objet un fait d’anatomie pathologique dans lequel j’ai rencontr6 tout un groupe de circonvolutions nettement separ6es de la substance blanche, et doublees de cette septigme couche, telle que je I’avais vue sOuvent dans le cerveau du moulon.
La femme G. agfie de trente-sept ans, offrait, a son eutr4o a la Salpatribre, les symptomes d’une paralysie gen6rale confir¬ mee; elle avail de l’embarras dans la parole, et des signes bien tranches de d6mence avec predominance de deiire arabitieux. Au bout de dix-huit mois on reconnut un matin que cette femme etait paralysee de tout le cote droit. La malade vecut encore six
(1) Mimoire sur les plis ciribraux de I’homme el des primates, p, 7.
DES CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU.
semaines, mais elle ne pouvait plus articuler un seul mot, et 6tait habituellement dans un 6tat de somnolence.
A I’autopsie, je irouvai I’hemisph^re gaqphe du cerveau ra^ molli dans toule son etendne. Quand je tentai d’enlever les membranes qui 6taient epaissies, j’entrainai avec.ellcs, non pas une coucbe mince de substance grise, mais toute la coucbe cor- ticale, et des portions assez considerables de substance blancbe. A la partie anterieure et superieure, les membranes enlevbrent ainsi d’une seule piece tout un groupe de circonvolulions qui s’etait separd neltement de la substance blanche. En examinant cette piece par sa face interne, j’avais sous les yeux de verilables circonvolutions, mais dont le sommet etait forme par lefond des anfractuosiies. Ces circonvolulions reuvers6es 6taient, k leur sommet, lisses et d’un blanc bleuatre ; en les incisant, on voyail que la coucbe blanche qui recouvrait ainsi la substance grise etait tres mince, d’une epaisseur uniforme et asse^ adherente. Dans le fond des anfractuosites (qui repondait au sommet des circonvolulions), la separation ne s’elait pas faite compieteinent, une partie de la substance blanche dtait resiee adherente.. .
Cette coucbe de substance blanche est cede que MM, Foville et Gratiolet croient devoir rattacher a la structure de la subr. stance grise qui se Irouverait ainsi renfermee de toute part dans, une sorte d’enveloppe trfes mince de substance blanche. On sail, en effet, que la coucbe exterieure du cerveau se rapproohe beaucQup de la substance blanche. C’est ce qu’on voit bien.sur- toqt, dans le cerveau des animaux et chez rhomme, sur la eir- convolution de rhippocanipe (1). Je reuvoje d’ailleurs au* W“ vrages de MUI. Foyille et Gratiolet popr tout ce qui regarde la structure et les .connexions de la s,epli6me coucbe. Je n’ai, cqmme je I’ai dit, d’autce but dans pette note que de lairg cqdt naitre un fait d’anatomie palhologique qui confirme I’qpjuiaa des savants anatomistes que je yiens, de citer.
(1| L41ut, IVote sur la struciwe de la circonvolution de I’hippocampe. '
Dll PHMOMEIVE DE L’E\TRAmEMEXT
AU POINT DE VUE DES FACUITES MORALES,
ET DANS SES RAPPORTS AVEC LES SPfiClALlTES,
M. le D' C. SALCEROTTE
Quelques physiologistes modernes out 6i:udi6 I’entrainement dans ses rapports avec les fonctions et les lois de la nutrition ; mais ce n’est lA qu’un des c6i§s de ce curieux phfinomene, qui se retrouve dans le monde psychologique, on son etude n’offre pas moins d’int6rdt. J’ajoulerai mfime que, si Ton ne s’arrOte pas N la signification recente et d’iniportation britannique donn§e k ce mot, on reconnailra que les fails de cet ordre ont de tout temps fourni niatibre aux observations des philosophes et des naturalistes. Seuleraent, on les a 6tudi6s sous diff6rents noms, k diff6rents points de vue ; on n’a pas toujours saisi leurs connexions, poursnivi leurs applications diverses, ni enfin for¬ mula bien nettement la loi commune qui les rattache aux ph^- nomknes analogues dans I’ordre physiologique. Je n’ai pas la pr^lention de combler cette lacune; il me sufiSrait d’avoir 6veill6 I’attention des philosophes et des physiologistes sur un sujet digne de les occuper, et qu’ils sauraient approfondir mieux que moi.
Un observateur eminent , H. Royer-Collard , qui , un des premiers, a 6tudi6 I’entrainement appliqu6 aux ph6nomknes de nutrition, n’en apas donnd, que je sache, de definition. Pour ne
DU PHfiNOMtlNE DE L’ENTRAINEMENT. 5
laisser aucune place a I’equivoquedans les considerations que je prcsenle ici, je dirai done que j’entends par entrainement : Les tendances qui r(?suitent de la prfidominance de certaines fonclions, predominance rdsullant elle-raeme de la repdtitioii frfiquenle des niemes actes.
On voit, ail premier coup d’oeil, quelle elroite analogie il y a entre I’liabitude et I’entrainement. A I’oppose des instincts qui soni innes, Tune et I’aulre s’acquierent lanlol par des efforts persdvdrants et mdthodiques, comme cela a lieu pour les habi¬ tudes de reflexion , tantflt par la tendance a I’iiniiation, qui est un des aitribuls de notre nature. Et de meme qu’il y a des ha¬ bitudes de la sensibilite, de I’intelligence et de la volonte, de mgme les effets de I’entrainement peuvent se produire dans Tune ou I’autre de ces facultfis fondamentales. Quant aux oppo¬ sitions esseulielles entre ces deux ordres de fails, je n’en vois pas. J’dtais done bien fondda dire, en coinraencant cet article, que les phdnoin^nes de rentrainemenl ne sont pas d’ observation aussi recente qu’on parait le supposer, et qu’il nous est loisible de faire notre profit en celte matibre des fails acquis a la science touchant les curieux et importants phenombnes de rhabitude, dans I’ordre pbysiologique comme dans I’ordre psychologique.
De toutes les circonstances qui peuvent agir pour produire I’entrainement dans I’ordre moral, on je me borne a le consi- derer aujourd’hui, I’une des plus puissantes est le caractere, ce temperament moral ne de la predominance de certaines facultes, et qui est dans I’ordre psychologique ce qu’est le temperament on le genre de constitution predominant dans I’homme phy¬ sique; deux influences en reaction I’une sur I’autre.
11 y a dans le caractere, comme dans le temperament, un element naturel, inne, et un element acquis. Le premier donne par I’organisalion ; Ic second puise dans le milieu, I’education ou rhabitude.
Le pbenombne de I’entrainement s’offre de mCme fous deux aspects pfincipaux ; tantot il est leresnltat naturel, spontane, de
6 DU PHfiNOMfeNE DE L’ENTRAINEMENT.
I’organisation pliysique et morale dopnee par la nature ; tant6t il est !e fruit de la direction imprim6e accidentelleinent par les circonslances, on sysi^matiquement par l’6ducation. S’il pr6- sente, sons la premiere forme, plus d’un probleme inl6rcssant ^ rdsoudre, principalcment sous le rapport du libre arbitre et de la responsabililfi de nos acles, au point de vup desj’educa- tion, il appelle luute railenlion dn philosopbe et dii physiolo- gisle. C’est ce c6le de la question que j’examinerai ici ; c’est-h- dire que je me bornerai aujourd’hui h ne voir dans I’entrai- nement qu’une sfirie d’actes coordonn6s en vue d’un r6sultat final.
Un principe reconnu en matiere d’Sducation, mais qui n’en est pas moins viold journellement dansl’application, c’estqu’on ne doit pas cultiver ceriaines facultfis aux ddpens et a I’exclu- sion d’aulres facultes non moins importantes et qu’on laisse dans I’oubli. « Il sera d’autant mieux pourvu h la culture de chacune d’elles, dit un penseur de nos jours, que toutes seront cultivees.avec plus de soin, parce que lifies intimement entre elle.s, e11es.se soutieuncnt et se secondent mutuellement, etpar la mime chacune conserve le rangetrimportancequi luiappar- tiennent. » {Victionnaire des sciences philosophiques, article Education.) , Mais ce principe deda subordination des facultis psycliiques, anssi important dans I’ordre moral que celui de la subordination des caracteres Test en histoire naiurelle, se trouve spu.vent.dans la pratique en antagonisme avec le principe des specialites, lequel a pour base la pluralite de nos faculiis ou de nos aptitudes, ct pour milhode V entrainement applique a celles de ces facultis ou de ces, aptitudes qui se monlrent pridomi- nantes. Or il y a la, selon moi, maliire a d,e graves inconvinient's.
• En elTet, parmi les faculiis ginirales de I’esprit humain, il n’en est aucune doni le concours ne soil indispensable a I’uniti harmonieuse du moi. Que Tune d’elles vienne a faire difaut, et vpus verrez la pensie riviler par quelque grave jmperfect.ion I’absence ou la faiblessede cette faculti. Que risultera-t-il, par
DU PHfiNOMtNE DE L’ENTBAINEMENT. 7
exeinple, d'un gcancl developpement de I’imagination dans un esprit doiit la raison el le gout auront 4t6 coinplfiteinent n^glir gfis? Quelqu’uno de ces oeuvres excentriqucs ou I’absurditfi du fond le dispute aux extravagances de la forme. Mais s’il y a danger h cultiver excjusiyement une facullfi qui a bienldt fitouffe sons son developpement parasite toutes les faculty qui devaicnt germer dans le infime sol, c’est bien pis encore quand il ne s’agit plus que do Tune de ces aptitudes qui ne sont (ju’une des faces ou Tune des formes propres a chacuiie de ces facultfe qu’elles n’embrassent meme pas tout entiere. C’est pourtant ce que Ton voit tons les jours, el c’est la ce qui produii tant d’hommes incomplets, tant d’esprils faux ou d’une incroyable nullite en ce qui concerne les matieres 6trangeres ^ celles dans lesquelles ils sont exclusivement prepares. L’industrie s’est mfime empar6e de ces faits dans les elablissements d’instruction, oil, explpitant & son profit les aptitudes spficiales des enfants qu’on lui confie, elle les soumet it un entrainement habilenaent dirig6, qui en fait des sujets forts en ihfeme ou lr6s bien rfiussis en vers latins, mais plus ou moins nuls sur tout autre chapitre. Si bien qu’on a vu des jaur^ats du grand concours, que dis- je? le prix d’honneur lui-meme, faire un fiasco coraplet <i I’exa- men du baccalaurdat.
On pent juger, par celte simple particularity, de ce qui peut rysulter pour I’avenir d’un jeune homme de cette nianiSre de faire. Mais c’est 1^ le raoindre souci de I’entraineur brevetfi, qui voit, gr5ce it la reclame, sa prosperile s’accroitre en raisqn directe des nominations obtenues en Sorbonne. J’ai m6me le regret de dire que ces choses-lii.s’observent jusqu’ii un certain point dans un certain nombre d’etablisseinentis pjublics, et, par- ticulifirement dans jes lycfes de Paris, oil la ryputatipn du professeur et son ayancement se rfeglent en partje sur less sucebs obtenus par ses yiiiyes dans les joutes universitairps. Un filfeye; en elTet, ne pouyant pretendre it , tout, il faut bien,, s’il veutarriver le premier dans ce steeple-chase, qu’iljette, chemin
8 DU PHfiNOMfeNE DE L’ENTRAINEMENT.
faisant, le bagagequi pourrait retarder sa course. Aussichacune des capacilds qui tiennent, comme on clit, la tSte de la classe, encourag^e dans la faculteou elle a chance d’oblenir un triom- phe, est-clle assez gen§ralement laissee librc de nfigliger le reste. II y a plus : que I’on jelte les yeux sur certaines classes de la soci6t6, sur certaines professions reclamant une preparation spe- ciale, et Ton y retrouvera la trace de cette division des forces de I’intelligence, qui ne profite a quelques facultes que pour fausser ou depriraer les autres. Ainsi on a reinarque que I’dtude des math^inatiques, commencee de bonne heure et poursuivie irop exclusivement, fait des esprits absolus, ne croyant qu’en eux-m6mes et en leurs forraules, vivant dans une profonde ignorance de la nature huinalne, et manquant absolument du sens pratique des choses. Divisons, soit : la faiblesse de notre esprit et les progrfes incessants des sciences nous en font une loi ; mais ne retournons pas & cette soci6t6 egyptienne, oCi il y avait des mMecins pour la tete, pour les membres, pour I’es- lomac, pour la rate, etc.
En r&urae, le principe economique de la division du travail, excellent dans I’ordre materiel, ne doit 6tre accept^ qu’avec re¬ serve dans I’ordre intellectuel, ou son application inconsid^rfie pourrait donner lieu a des inconvenients graves. Certes, il ne m’appartient pas d’en blSmer I’introduction dans notre syst^me d’6ducalion publique, moiqui, dbs 1830, a une dpoque oil cette opinion ralliait indme un bien petit norabre d’adh^rents, pro- posais, dans le Journal de t instruction publique, un plan d’6- tudes inslitue sur la division de nos connaissances. On ne pent d’ailleurs mficonnaitre quels sages tempfiraments y a apportfis la loi qui rfigitdepuis peu notre enseignementsecondaire, laquelle ne permet pas plus ii I’filbve des sciences de nfigliger entiferement les leltres, qu’elle n’autorise I’elbve des letlres ii rester dans une ignorance complete des grands ph6nom6nes de la nature. 11 est il d^sirer que nos jeunes generations ne perdent pas de vue tout ce qu’il y a de philosopbique dans cette esp^ce de com-
DU PHfeNOMtNE DE l’eNTRAINEMENT. 9
promis entre les deux grandes branches des connaissances hu- niaines. fliais de la penie k Tabus il n’y a pas loin, et la pente du sihcle csl aux spficialiles. Tout y pousse : d’une part, les progrbs des sciences, dont Thorizon, s’etendanlde plus en plus, ne per- uiet a Tintelligencela mieuxdoufie den’ernbrasserqu’une faible partie ; d’une autre, le besoingcneraleraent manifeste d’arriver, par la voie la plus directe, aii resultat le plus positif de Tedu- cation.
Certes, je n’ai pas la pretention de me mettre ici en travers des tendances de moii epoque, et encore moins de celles de notre nature intellectuelle. Nous ne naissons pas propres h tout, et rien de plus ralionuel assur6raent que de nous diriger vers la carriere k laquelle nous appellent notre vocation et nos apti¬ tudes. Vouloir qu’on en agisse autrement, serait fermer la voie du succks au plus grand nombre, et celle du progrks aux so- cietes, Mais enfin il y a Ik, en meme temps qu’une voie k suivre, un 6cueil k 6viter. A Tdducation philosophique qui tend k faire des hommes, dans la plus haute acception de ce mot, ne sub- slituons pas un enseignement artificiel qui ne s’occuperait qu’k faire des ingknieurs, des industriels, des.medecins, etc. Prenons garde qu’en tendantoutre mesure les ressorls d’une ou dedeux facultfis, nous n’etoufBons les autres, et que dans cet entraine- ment violent des aptitudes, dans le butde nous dresser a la pro¬ fession que nous aurons k reraplir, nous ne prenions trop peu de souci de ce qui ennoblit Tkme et 61kve la raison.
Je me resume.
Si, comrae on ne saurait le contester, Tdducation a pour principe general le developpement harmonique et libre de toutes les facultes, tout systkme d’education qui ne tend qu’au d6ve- loppement partiel el factice de Tinlelligence, manque son but et abaisse le niveau general de Thumanite. Or tel est le resultat de Tentrainement pratiqufi en maliere de pfidagogie sur cer- laines faculty en vue de former des spdcialitfis. C’esf aux
10 DU PHfiNOMfeNE DE L’ENTRAINEMENT.
hommes pr6pos6s a I’education publique i 6clairer les families sur les inconvenients de ces tendances, dont la source se irouve dans les instincts les moins 6lev6s de la nature humaine (1).
(I) Je n’ai signalequeles inconvenients les plus genfiraux de I’entral- nement appliqu6 sans discernemenl a la direction de nos faculies in- lellectuelles dans I’educalion. It en cst de plus graves dont, cn raison de leur importance et de I’etenduc des considirations qui s’y rattachent, jc me reserve de parler plus lard : ce sont ceux qui resullenl de la ten¬ sion excessive de certaines facultes par rappori a I'inligriii de la raison. II sullit, en elTet, de jetcr un coup d’oeil snr l'6liologie dc certaines vi- sanies, et particulieremcnt des monomanics, pour comprendre I’in- flucnce que doit exerccr sur leur production I’cntrainernenl , lequel impliquc nicessairernent un maximum d’action cerebrate correspondant aux racnites sur lesquelles it agit.
DE LA FOLIE
AD POINT DE VDE
PATHOLOGIQUE ET ANATOMO-PATHOLOGIQUE ,
ni. le D' J. MOREAU, de Tours.
MSmoirc lu I’Acadimie imperiale de mddecine.
Proiiver que la folie doit etre assimil^e, quant k son origine, son developpc'inent, sa terininaison , k toute autre maladie en g6n(?ral, et eu parliculier aux affections soit aigu&, soil chro- niques du cei veau, tel est le but du travail que nous venons soumettre k la haute appreciation de I’Academie.
Une question qui se represente incessamment k I’esprit du mfidecin alieniste, est celle relative k la nature de la maladie qui fait I’objet de ses etudes ; question assez simple, au fond, mais sur laquelle des m6decins trop philosopbes et des philoso- phes pas assez mfidecius ont fiui par jeter beaucoup d’obscurit6 et d’incerlitude.
Si Ton pent, k la rigueur, negligerune question de ce genre, lorsqu’il s’agit d’affections purement physiques, il n’en saurait 6tre ainsi quand on a affaire k des lesions d’organes qui se tra- duisent par des troubles, des anomalies de I’intelligence.
La folie, en raison de la nature exceptionnelle de I’ordre de fonctions qu’elle alteint, doit-elle Sire considdrfie comme une maladie essentiellemeut dislincte des autres maladies , ou bien
12 DE LA FOLIE
doit-on la comprendre avec les aulres etals morbides dont sont susceplibles les divers syslfiraes organiques ?
Sur ce point capital , on sent que le medecin ne pent se dis¬ penser d’avoir une opinion fixe, arretee, soil dans un sens, soil dans un autre. Nullc hcsilaiion ne nous semble permise , sons peine d’impuissance absolue en matierc de iherapeulique.
Dejii, dans divers iravaux, dont quelques-uns onl ei6 lus de- vant cette society, je me suis efforce de jeter un peu de jour sur la question qui nous occupe. Je continue la lache que je me suis imposee , en abordant , aujourd’hui , cette mSme question d’une manifere plus direcle et en la prenant pour ainsi dire corps k corps.
Le specialisme scientifique a des avantages que nul ne sau- rait contester ; il a aussi ses inconvenienis. En isolant trop I’ob- jet de nos dtudes, il devient bientot impossible de le voir sous son veritable jour. A force de speciaiiser, pour ainsi dire, les d^sordres de I’esprit en refusant de comprendre dans le merae cadre nosologique la folie et toute autre lesion intellectuelle qui n’iniplique pas nficessairenient Valienation (ce mot pris dans son acception la plus rigoureuse) de la facultd pensante, il est arriv6 qu’on a oublie le point de dfipart des desordres dont nous parlons, les conditions pathologiques dans lesquelles ils se d^veloppent, on a fini par en mficonnaitre la veritable nature.
A nos yeux, delm ct folie sont synonymes ; c’est le mfime 6tat morbide designe par deux expressions dilTerenles.
Nous savons que cette assimilation du dfilire et de la folie heurte les idees gfmeralement regues de nos jours. On la trou- vera legitime , si Ton considfere que les desordres nerveux ne sont pas toujours symptomatiques ; en d’autres termes, ne ti- rent pas invariabiement leur origine des maladies des divers organes. Dans une foule de cas, ils sont la traduction d’une le¬ sion essenlielle ou primitive de I’innervaiion. Le dynamisme nerveux se trouve alors trouble, perverli dans ses manifesta¬ tions intellectuelles, primilivement, en dehors de toute influence
13
AU POINT DE VUE PATHOLOGIQUE. syraptornatique, ainsi qu’il lui arrive de I’fitre quant h des ma¬ nifestations d’un autre ordre, dans certainos nevroses, l’6pilep- sie, riiysttrie, ces v6ritables delires de la motiliti.
L’existence de nfivroses mentales n’est pas plus contestable, dans r6lat actucl de nos connaissances, que celle des ndvroses du inouvement.
A chacune de ces 14sions de I’innervation appartiennent des conditions sp6ciales d’origine, de developpement, qui ne per- meltent pas de confondre soil le dfilire primitif essentiel avec ledfilire symptomatique, soil I’hystfirie, I’^pilepsie essentielles avec i’hyst4rie, I’^pilepsie symptomatiques.
Nous tenions & 4tablir Tiraportante distinction qui pr4c4de, afin qu’on ne se crut pas autoris6 ti faire revivre b I’encontre du present travail une foule d’objections qui, en s’adressant exclusivement au d41ire symptomatique, porteraient ndcessaire- ment a faux.
Nous ne voyons pas dans la folie, b I’exemple d’un c614bre alieniste allemand, ledocteur Jacobi, les symptbmes d’4tatspa- thologiques divers ; nous y vo.yous la manifestation directe, im- mfidiate, d’une lesion du dynamisme nerveux, r4p4tons-le, une simple nevrose.
Au point de vue th4rapeutique, nous ne subordonnons la folie cl aucun autre 4tat pathologique qu’ci celui m4me du sys- tbme dans lequel elle a son origine et son si4ge.
Abordons, maintenant, les considerations thdoriques et pra¬ tiques sur lesquelles je fonde I’opinion que je viens d’4mettre.
§ I-
En s’occupanl des 14sions qui, d’ordinaire, atteignent la por¬ tion enc4phalique du syst4me nerveux, les auteurs, en g4n4ral, n’ont-ils pas eu 4gard plutot a la diversit6 des fonclions dont I’organe 4laii charge qu’i I’organe lui-meme? ^videmment, c’etait un moyen peu sur de decouvrir la verit6 que de proce- der de la sorle.
14
DE LA FOEIE
Cela s’explique, si I’on veut, par la nature de certaines func¬ tions qui seinblent se soiisiraire aux lois communes ; mais enfin quelque idee quo Ton s’en fit, if n’6tait pas permis d’oublier qu’en fait de raaladie, c’6tait a I’organe seui, ou, si I’expression agree clavaniage, h I’instruraent qu’il fallait s’en prendre.
Les symptoines constituent la raaladie ; or, que sont les sym- ptomes, sinon la traduction extfirieure des modifications ou troubles survenus dans un organe? D’ofi il faut conclure que le point de depart organique 6tanl le mSme pour tous les sym- ptomes, les lesions qui en sont la source, si elles ne sont pas identiques, ne saiiraient differer beaucoup entre elles.
Dans les troubles fonctinnnels du cerveau, je ne comprends pas que Ton puisse voir autre cbose que des manifestations pa- thologiques, vari6es comme. le sont elles-mSmes les diverses fonctions de cel organe, mais qui se confondent toules a leur origine comme les branches d’un arbre a leur tronc com- mun.
Toutes, sans exception, se tiennent par des rapports plus ou moins nombreux et apparents. Dans chaeune d’elles il y a quei- que chose des autres.
Pourquoi done ferait-on de Tune d’elles en particulier une entile morbide essentiellement distincte, ayahl son mode d’etre special et n’ayant rien de copimun ave ■ les affections conge- n^res? Pourquoi a-J-on fait cela pour la folie?
Examinons les cas dans lesquels la modification c6r^brale porte specialement sur les functions iniellectuelles,
Les deux termes extremes qui marquent, d’une part, le maximum d’iiilensite, d’autre part le minimum d’intensite de ceite modification, se tiennent par des rapports d’anaiogie ou points de transition qu’il suflira de rappeler en peu de mots :
Le premier de ces termes, e’est I’dtat de sommeil complet ou sans rdves. On ne saorait imaginer de modification intelleetuelle plus profonde, plus radicale, plus absolue, que celle oCi toute spontan^ite, toute conscience, m€me fauss^e, de sui-m€me est
AU POINT DE VDE PATHOLOGIQUE. 15
suspeiidue, j'ai presque dit aneautie. On a dit, et Ton n’a pas cru que I’expression fut trop 6nergique, que le sommeil 6tait I'image de la mart. G’est qu’en effet, au point de vue psycho- logique, la ressemblance est telle, qu’il suffirait de supposer que le sommeil se prolongeat ind6finiment pour que nulle distinc¬ tion ne pdt Stre assignee entre la mort apparente et la mort r6elle.
2° De r^tat psychologique que nous venons de meutionner^ it cet autre etat de sommeil dans lequel surgissent ces r§ves fu- gaces dont le souvenir passe avec la rapidity de I’^clair, et dont la conscience s’6teint presque aussitdt qu’elle est u6e, la diffe¬ rence est minirae, les conditions physiologiques 6tant les mfimes, ou cl peu pres. Cependant la faculte pensaute est sortie de son eiigourdissement, elle s’eveille. Mais son activitd est encore en- chaiuee duns les limites du rdve, des souvenirs, des impressions revues pendant I’etul de veille, de I’existeuce interieure« en un mot ; le monde r6el ou extdrieur est pour elle comme s’il n’exis* tait pas.
3° Dans rdtal de somnambulisme, I’horizon s’agrandit ; I’ac- tivite mentale s’exerce bien plus sur des souvenirs, G.’est-Ji‘dire sur des impressions provenant de choses rdelles que sur les creations fantastiques de rimagiiiation. Sans dtre ddbarrassde compietement des liens du sommeil, la peiisde n’est plus dtran- gdre aux choses de I’dtat de veille; ddja mdme elle dispose^ comme dans la veille, de certains organes de la vie de relation.
h° Des dispositions psycbiques analogues se font remarquer dans ^exta&e ou les sens conservent, le plus sOuvent, une cdr- taiue activitd, laquelle contraste avec les apparences de I’espdce de sommeil qui parait enchainer la faculld locomotrice.
5° J. Frank a designd, sous le nom de somniatio, un dtat particulier dela facultd pensante qui, lie a I’dlat prdcddent par de nombreux rapports , se rapproche bien plus de I’dtat de veille. « Discusso accessu, » dit le cdldbre mddecin de Vienne, en pariant des individus attaints de ce genre de ndvrose, « veluti
16 DE EA FOLIE
» 6 sonino ad sc redeunt, aut soranaUibulorum instar, sed » diuturno tempore, deambuiant, immo itinera faciunt, aut » scribunt, aut sermocinanlur, idque peregrinis interdum lin- 0 guis, aut carmina recitant, aut cantant, aut saltant, aut va- » ticinia proferunt... (1) »
6“ Dans certains cas de d61ire aigu ou febrile, I’existence de I’individu semble se partager entre la veille et le sommeil, entre la r6alit6 et les illusions qu’enfante le reve. En effet, il suffit de quelques impressions transmises par les sens pour rappeler le Kbricitant a la vie r6elle qu’il abandoiine bientCt si Timpression n’est pas durable, pour retomber sous I’empire exclusif des sen¬ sations internes. Si on I’interroge au milieu de ses divagations, il s’arrSte brusquemeiit, semble secouer I’assoupissement ou il est plong6, et repond avec lucidit6 et precision aux questions qui lui sont adressfies. La r^ponse achev^e, il se met ?i divaguer de nouveau, et, chose digne de remarque, poursuivant toujours les mSmes id6es, le meme ordre de pens6es qu’auparavant. Qui n’a pas 6t6 temoin de ce ph6nomene psychologique qui, par taut de cOtds, touche a la folie, la folie ! ce dernier terme des modifications de la faculte pensante, vers Icquel, comme on vient de le voir, nous nous sommes elev6s par gradations insen- sibles, sine saltu.
La folie doit 6tre consid6r4e comme la moins profonde des Msions mentales que nous venons de passer en revue, parce que nul autre etat ne semble se confohdre davantage avec la vie rfielle, la vie ext6rieure, la vie de I’tot de veille; et ce caract6re sp6cial est tel qu’il en a impost presque irresistiblement aux ob- servateurs qui, jusqu’ici, out vu dans I’alidnation mentale des modifications de I’intelligence s’eloignant plus ou moins de I’^tat sain, mais n’excluant en aucune fapon l’6tat de veille. On vient de voir, par les reflexions qui precedent, qu’en consultant les fails intermediaires, et en ecartant ce qui r6ellement est etranger au
'(1) J, Frank, Praxeas medicce... p. 448.
AU POINT DE VUE PATHOLOGIQUE. 17
d61ire, aux fails de psychologie pure, on Irouvait, en dcrniere analyse, pour condition pathog^nique essentielle des idees d^li- rantes, I’fitat de sommeil (1) .
(1) Ce fait de pathologic menlale a did exposd avec tons les details qu’il comporte dans notre livre sur Ic haschisch (*). Nous pensons I’avoir enlourd de preuves Ihdoriqucs et cxpdrimentales qui ne permettcnt pas de les rdvoquer en doule.
Ce n’est pas que diverscs objections n’aient did soulevdes ; mais loules nous ont paru dire a c6td de la question, el, par consdquent, porter A faux. Pour le ddmontrer, il me sufOra de rappeler ce que jedisais touta I’heure, i savoir : que je n’ai entendu parlor que du fait psychologiqne en lui-meme,ct ddgagd des phdnomenes organiquesau milieu desquels on veil se produire les divers dials de sommeil, de somnambulisme, etc.
On a dit (et e’est la I’objection la plus spdeieuse qui ait did faite ; clle cst, en eCfet, capilale et rdsume toutes les autres ) que, contraire- ment a ce qui sc passe dans la folie, rinlelligencc chez I’homme en- dornii cst dans un dtat passij. Je n’ai rien dit qui soil en contradiction avec cetic vdritd ; ce que j’ai dit, e’est que la folio est un dtat raixte rd- sultantde la fusion de I’dtat de sommeil avec I’dtat de veille, de I’im- mixtion — qu’on me comprenne bien — de phdnomenes ou de fails psychiques appartenant au sommeil dans I’dtat de veille.
Dans les conceptions mentales de I’alidne , ce qu’il y a d’actifou ap¬ partenant a I'etat de veille, ce sent les consdquences psychologiques qu’entraine I’idce fixe, les ddduclions que le malade tire logiquement de cetle idde, les sentiments, les passions qu’elle souleve; mais I’idde fixe, la pensde morbide qui rdsume cn elle tout le ddlire, parce qu’elle est le point de ddpart de toutes les aberrations, cette pensde appartient lout entiere a I’dtat passif du sommeil, elle a pris naissance dans des conditions psycho-organiques analogues.
Le plus souvent on mdconnait la nature de cette pensde, on I’acceple comme Idgitimement et librement concue dans le cerveau, on raisonne et Ton agit en consdquence... On estalors dans un dtat de ddlire absolu.
Mais souvent aussi cetle memo pensde (et ce que nous disons ici des actes intellecluels peut s’appliquer aux actes sensoriaux) n’est pas assez energique pour cn imposer a la conscience ; clle est reconnuc pour cc qu’clle est, et le malade alors la ddsigne invariablement par son vrai nom, il Tappclle im rive. Dans ce dernier cas, la personnalild de I’indi- vidu n'est pas andanlie ; il n’y a pas folie, dans le sens rigoureux du mot.
(•; Du haschisch el de I'allination menlale. Paris, 1843.
AWNAi.. MED.-Psvcir. 2e sdric, t. vii. Janvicr 1855, 2, 2
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DE LA FOLIE
§ II.
Exarainonsmaintenant la folie dans certaines de ses conditions palhogeniqiies, nous acquerrons de nouveau la prcuve qu’il esl impossible de ne la pas confondre avec les aulres desordres fonciionnels du cerveau.
Dans line foule de cas, on la voit se confondre li son origine, in radke^ suivanl I’expression de J. Frank, avec ces memcs dfisordres, nailre, se developpcr et disparailre avec eux.C’estlh une V(5ril6 d’observalion dont faisaienl grand compte les auteurs qui, se donnant bien de garde de ,s6parcr ce qui, desa nature, est ins6paiable, ont 6tudie, d6cril la folie en mdme temps que les aulres desordres du systeme iierveux.
La meme cause, le mOme travail raorbide peut Idser, tout k la fois oil bien successivement, le cerveau en tant qu’organe des faculies sensoriales, de I’insiinct on de rinitlligence, el en tani qu’organe de la molilitfi. On veil frdquemment le delire, le trouble mental le plus complei soumis aux mfimes lois palhog6- niques, coincider avec la perversion, I’abolition coinplkle ou incomplfeie des faculies motrices, de la sensibility gfinyrale, des sens speciaux : par exemple, dans les cas compris par Sauvages dans la classe des lelliargies, dans le delirium tremens, I’epi- lepsie, riiysierie, etc.
Ce n’est pas la, dira-t-on peut-6tre, ce qu’on nomme folie k proprement parlor, alienation nientale. — Je le sais bien; mais qu’esl-ce que cela prouve? En est-il inoins vrai que le trouble mental dont il s’agit soil idenriq^ue, dans sa nature essentielle, avec celui pour lequel seul on veut r6serverle nom de folie, et que les caracieres par lesquds on pretend le differencier de la folie proprement dite lui sont aprfes tout radicalement ytrangers, et apparliennent k un aulre ordre de fonctions ?
Admettons que les dysordres pureraeni nerveux viennent k cesser, vous n’aurez plus d’objections k faire centre le dyiire ; ce dyiire sera bien vyrilablement alors de la folie. Or, on salt
AU POINT DE VUE PATHOLOGIQUE, 19
dfijk que les choses se passent aiiisi dans quelques cas. Nous ajoulerons, en nous placant k un point devue plus g(5n6ral, que toiijoiirs (je ne fais d’exccption que pour les cas oCi les rensei- gnemenls font coinpl6leinent defaul) les sympl6mcs psychiqucs de la folie sont pr(5c6des d’accidenls purement nerveux ; nous I'avons surabondainmeiu prouv6 dans noire travail sur les Pro¬ dromes de la folk. Annales med.-psijch., 1852.)
Si done il peut 6lre utile, ce quidu resle ne fait pasde doute, d’envisager it part les troubles de I'intelligence, de Ics isolerdes ddsordres nerveux auxquels ils sont lies ndccssairement dans quelques-unes dcs phases de leur existence, il iuiporie bien plus, sous peine d’en indconnaitre la nature rdelle, de ne pas perdre de vue le fait pathologique de la communautd d’origine de ces deux ordres de phfinomenes.
Nous trouvons sur ce point un enseigneinent prficieux dans le groupe de d&ordres fonclionuels auquel on a donnd le nom de paralysie generate des alienes. Ici, en elfet, on voit mar¬ cher de pair, et les troubles de I’esprit, et la perversion, I’aboli- tion plus ou moins complfele de la sensibility, des niouvements volontaires, de la contractiliie lalenle : phyuomcnes patholo- giques d’ordre dilfyrent se confondant tous dans la meme unity niorbide. La meme Idsion tient, pour ainsi dire, en ycbec toules les faculiys.
Ajoulons qu’il cst possible, jusqu’ii un certain point, de pro- duire par des moyeus artificiels des desordres de niCme nature que ceux que nous venons de constater chez les paralytiques. Ainsi on voit les liqueurs alcooliques, presque tous les opiacys, dyvelopper insensiblement d'abord tous les sympiomes prodro- miques de la folie, puis la folie dans sa forme la plus simple, la plus dygagye possible de signes purement physiques, pourarri- ver par nuances de plus en plus tranchyes aux desordres inlel- lectuels les plus graves, lesquels fmissent, enftn, par se com- pliquer de lysions plus ou moins profondes de la sensibility el des mouvemenis.
D12 LA FOLIE
On voit, d’aprfis cela,que sous I’influence de certaines causes morbides 61aborecs, pour ainsi dire, dans les profondeurs de I’organisme, ou venues du dehors, le cerveau peut 6lre 16s6, modififi partiellement ou dans tous ses modes d’aciivite, suivanl qu’on restreint celte influence ou qu’elle est portfie a son sum- mum d’dnergie. La palhogenie de la folie ne fournit done aucun motif de dilTfirencier, au moins d’une raaniere absolue, celte maladie des autres affections du systeme nerveux.
§ in.
Je passe ^ I’examen des principales objections qui ont §t6 faiies conlre I’assimilation du delire et de la folie.
La plus spficiense est lir6e du caractfire soi-disant apyrelique de la folie. Aretfie la dfifinissait : Mentis alienatio ex toto diuturna, absque febre, Esquirol : Un delire chronique et sans fievre.
Nous reconnais.sons avec tout le monde que dans beaucoup de cas, dans la majorite, si Ton veut, la folie se pr6sente sans ce cortege de symplomes generaux, de troubles de la circulation, qui accompagnent ies affections d’un autre genre. Mais cela ne peut auloriser a en faire une maladie a part, et surtout a en chcrcher I’origine en dehors meme des organes, comme quel- ques-uns n’ont pas craint de le faire.
La fievre ne saurait 6tre la condition sine qua non de toute modification survenant dans I’organisme, la fievre, du moins, dans le sens que Ton attache a ce mot en general ; car si Ton analyse cet 6tal de I’organisme, si Ton veut tenir compte de tons les incidents pathologiques qui en font comme partie int^granle, on s’assurera facilement qu’elle ne manque a peu pres jamais au debut des affections mentales. La soif, la constipation, des dou- leurs nfivralgiques varito a I’infini par leursifige, leur inlensit6, leur duree; de I’oppression , la suppression des regies, duflux h6morrho'idal, I’injeclion et la pSIeur alternatives de la face, de
A,a FOUNT DE VUE PATHOLOGIQUE. 21
la conjohctive, une sorte de turgescence des I6vres, des maux de tfite, des tiiUemeiUs d’oreille, de I’insonniie, des rfivesiiiac- coutumfis, des palpitations, un malaise general, ind6finissa- ble, etc., etc., iels sent les indices ordinaires et Irop souvent inconnus de [’invasion de la inaladic. Au.ssi Esquirol, dit-il avec une grande juslesse d’observaiion, o qu’au debut de la folie, le delire de cette affection ressemble beaucoup au dfilire febrile ; que I’errcur est facile. . . «
Est-il nficessaire, enfin, de rappeler ici cette remarque quia 6te faile bien longtemps avant nous : que la plupart des nevroses, telles quo I’hysterie et les innombrables idienomenes phrfino- paihiques compris sous cette denorainaiion, la choree, r6pi- lepsie, sent exempts de ces troubles reactionnels que soulevent si facileraenl des lesions organiques d’un autre ordre? « Con- » sentiunt omnes, dit Lorry, qui similibiis morbis observandis » tempusimpenderunt, alias saepe functiones a raalo superesse, )) dum motus convulsivi immanes corpus proterunt et prolur- » bant. »
L’absence de reaction febrile proprement dite, dans la folie, ne doit done pas nous faire prendre le change sur la nature rfielle du mal. Celte circonslance palhologique est commune h la plupart des affections du systeme nerveux, et s’il y a quelque induction h en tircr, e’est celle-ci ; qu’ayant le meme organe pour siege, elles se manifestent de la meme manifere. Ajoutons tout de suite qn’elles n’ont pas moins d’analogie quant a leur cause pri- mordiale. Nous avons prouve dans divers travaux, notam- ment dans notre livre sur I’epilepsie, qu’affections mentales et affections convulsives s’engendrent sous les memes influences prfidisposantes, hdrddilaires ou autres.
La deuxieme objection est tiree du caracterc chronique de la folie.
En s’appuyant sur ce caractfere , on parait avoir oublie que des distinctions , quelque sp^cieuses , quelque fondees qu’elles soient, cnlre les diverses pdriodes d’une maladie , ne changent
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point la nature de cette maladie, et surtout ne font point de ces p6riodesautant de maladies distinctes. Des caraclferes nom- breux et tranches differencient la pneumonie passee a I’diat chronique el la pneumonie aigne ; niais coiisideree en elle-nieiue, e’est loujours la meine maladie, ayant pour point de depart el pour condition d’exislence uiie modification survenue dans la vitalite del’urganepulinonaire, el, par suite, dans le tissude cet organe; ainsi de toutes les maladies.
Cependant n’est-il pas, pour ainsi dire, pass6 aujourd’hui dans les habitudes de tons les alienisles, d’eiivisager la folie, c’est-ii-dire, le dfilire devenu chronique, comme s’il n’y avail pas eu anterieurement d’etat aigu ? Tient-on comple des rap¬ ports essenliels qui raltachent I’un a I'autre ces deux dtats? Ne se conduit-on pas comme si Ton avail affaire a deux maladies d’origine, de nature essentiellement distinctes?
Si Ton s’elait moins exclusivement preoccup6 de I’dtat chro¬ nique et un peu plus de I’elat aigu ; si, au lieu d’dtudier I’ali^na- tion mentale loin de son origine, on se fut inquielS davantage de ce qu’elle avail ei6 it son origine, cette affection, en appa- rence (mais en apparence seulement) si eirange, si bizarre , si incompr6hensihle, si inexplicable, aurait sans doute perdu sous le rapport du mcrveilleux , et la litterature m6dicale se- raitpriveed’une foule d’histoires intdressanles; mais combien la science n’y aurait-elle pas gagne!
Si au lieu de s’allacher a creuscr des distinctions plus ou moins subiiles entre les deux phases d’une raeme maladie, de diviser et de subdiviser les phenomenes du delire chronique, d’en former des groupes plus ou moins arbilraires, d’en d6crire it la loupe les nuances les plus fugitives; si, dis je, on avail pris soil! d’analyser ces phenomfenes, d’en eloigner, pour ainsi dire, cequi, par la durf'e de la maladie, est venu en masquer le v6ritable caraci6re, de les envisager ainsi dans leur etat pri- niiiif el originel , on se fut bien vite aper^u que tirant tous leur origine du mSme fail primordial , ils ^talent tous compris dans
AU POINT DE VUE PATHOLOGIQUE. 23
le d^lire aigu ; que c’est sous cetle forme qu’ils commencent tous h se dfivelopper, el que les id(5es fixes, les impulsions ina- ladives, les monomanics ot les lypfimanics de toule sorte, ne soul, pour ainsi dire, que des debris du dSlire general Cette manifere de voir nous pourrions, jusqu’ii un certain point, l’6layer de I’autoritfi de J. Franck qui n’admet pas qu’enlre le delire et la folie il existe aulant de difffirence qu’on le croit dans les 6coles, « inter delirium et maniam tantum non existere » discrimen ut scholis asserere placuit (1). »
Quiconque , en elTet , a suffisamment observe les ali^n^s, a 6t6 a mfime de suivre leur maladie dans toutes ses phases, dans les nombreuses transformations, les nuances vfiritablement infl- nies qu’clie presente, parlagera comme nous,j’en suis certain, I’opinion du ciilbbre m6decin de Vienne. Pour mon propre compte, je neme suis jamais trouve en presence d’uu individu atleint du d6lire febrile, sans gtre frappe, je ne dis pas de I’ana- logie, mais de I’identite, au point de vue psychique, des pheno- menes que j’avals sous les yeux avec ceux qui s’observenl chez les ali^n^s. Assurdment ces phfinomSnes ne se pr6sentent pa.s sous le ra§me aspect , dans le mdme arrangement, la mSine succession, le mfime isolement ; mais a leavers ce voile que jette sur eux I’acuilfi du mal, on retrouve facilement les phfinomenes propres au dfilire chronique soil general, soil parliel. En reunis- santpar la pensee, en groupanl certains symplomes et en nfigli- geant certains autres, on pourrait, en quelque sorte, en laillant ainsi dans le dfilire aigu, composer de toutes pieces tel ou tel genre de folie qu’on voudrait. L’idfie d’une semblable opfiralion peut paraitre bizarre, au premier abord ; et pourtant rien n’esl nioins rare que de voir la nature elle-meme I’exficuler. Ne voit- on pas, en effel, dans une foule de circouslances, la folie la mieux caraclfirisfie sucefider k un acefes de dfilire aigu ? Ce cas
(1) J. F..., De maniU.
ne se presente-t-il pas frfiquemment dans les maladies du cer- veau, dans la m^ningite principalement, dans les fievres graves, les fifevres typhoides, interraittcntes, soporeuses, etc., etc. ?
Or qu’arrive-t-il alors? Que certains syinploines, certains ph^noinenes du desordre inlellectuel disparaissent, tandis qne d’autres subsistent ; que les memes idees ou convictions deli- rantes qui, dans la periode aigue, raontraient le plus de tendance ii dominer Ic malade a I’cxclusion des autres plus fugitives , fi- nissent par r^gner seules, malgre le r6veil partiel de la raison, malgre les assauts que leur livre la conscience intiinc qui les juge et les apprficie?
Les formes tres variees qu’affectc ralifination mentale n’ont pasmoins contribufi que les fails que nous venous de passer bri6- vement en revue a 6garer les observateurs.
Rien, en effet, si Ton s’en tient a un examen superficiel, ne ressemble moins ii certains fous que certains autres fous. Quelle analogie y a-t-il entre ce furieux qui parle, s’agite, faitun af- freux vacarme, dont pas une idee ne s’enchaine, ne parait etre en rapport avec les impressions exterieures, et ce monomania- que si parfait dans sa lenue, si convenable dans ses manieres, et dont la raison, en defaut exclusivementsur une serie pariiculiere d’iddes, est irreprochable sur lout le reste? Je n’ai pas besoin d’insister sur ces conlrasles quifrappent I’observateur le moins altenlif des les premiers pas qu’il fait dans I’inl^rieur d’un asile d’alienes.
Cependant si parl’analyse nous pen^trons, d’une part dans ce chaos d’idfies, d’impulsions, de sentimentsau milieu desquels s’agite I’intelligence du maniaque, de I’autre sous cetle enve- loppe de raison qui tend Ji nous derober les convictions deli- rantes du raonomaniaque , nous reconnaitrons bientot qu’au point de vue psychique la I6sion qui a frapp6 les facultes est la m6me dans les deux cas.
La surexcitalion qui a 6tc le point de depart des ddsordres persisle dans le premier cas; elle a cessd dans le second, et en
AU POINT DE VUE PATHOLOGIQUE. 25
mgme temps quelques-unes des idees qui y avaient pris nais- sance out surv6cu ; de la les differences que I’oii observe. Mais chez le maniaque comme cliez le inonoraaniaque, les idfies out iin caraclbro niorbide idenlique : en ellet, ce caractere, elles le tirent de I’enipire absolu qu’elles exercent siir le malade, ou, ponrlcnir un langage plus conforinea noire manibrede voir, de la transformation du moi, de I’^lat de revc auquel elles ap- parliennent. Qu’elles soient plus ou moins nonibreuses ou renfer- mees dans un cercle plusou moins 6troit; qu’elles se succbdent avec rapidit6, ou bien qu’elles persistent tenaces, exclusives , cela pent changer, varier ’a I’infmi leur manifestation ext6- rieure, raaisne change rien a leur nature intrinsbque.
La plupart des individus qui ont 6t6 atleints de dfilire general peuvent , une fois gueris , rendre compte de leur etat passfi. Qu’on les interroge, on apprendra que les id^es sans nombre qui traversaient lour esprit exercaient sur eux un pouvoir sans bornes; que ces idees les possedaient tout entiers, absorbaient toule leur attenlion, les dominaient, enchainaient leurs d(5sirs, leur volont6 . Et cela seul explique la mobility do leurs ac¬
tions, leur emporlement, la facility avec laquelle ils cfedent aux impulsions les plus oppos^cs, se livrent aux acles les plus divers. Pour rfiflechir, I’esprita besoin de rosier impartial en face des iddesqui, lour a tour, cherclient h le captiver; il juge alors, compare et se determine dans sa libre sponianeite ; cette spon- lanfiite, dans r(5lat de manie, il la perd par la violence de ses imaginations, pour parler le langage de Locke, par la vivacity, le despolisme de ses idees.
A ces considerations nous pourrions en ajoulcr d’autres non moins puissantes en favour de la thbse que nous soutenons. Ignore-t-on, par exemple, qu’il est bien peu d’aliengsqui, dans le cours de leur maladie, n’aient offert, & un degrfi plus ou moins tranche, les formes de dSlire les plus opposfies? Le dSlire par- liel le mieux caracteris6 est-il toujours invariablement exempt de quelque mdlange de manie? Et voit-on beaucoup de ddlires
26 DE LA FOLIE
maniaques sans predominance d’une ou plusieurs series d’id^es
particuliferes (1)?
A-t-oii oublie le fait si 6mineminenl pratique signal^ par Pi- nei, que les meilleures gu^risoiis sont, le plus souvenl, aniioiicees par un etat de surexcitation, une sorle de retour ii I’etataigu?
Est-ce que, lous les jours, le pralicien ayant un diagnostic a porter n’hesite pas a ranger dans telle ou telle cal^gorie le cas qu’il a sous les yeux, tant les traits sont indecis, fondus les uns dans lesautres? Manie, monomanie, delire g(5n6ral, delire par- tiel, sont des entitfis morbides dont nous ne contestons pas I’uti- lit6 au point de vue historique, mais necessairement arbitraires et sans fondeinent dans la nature. L’id6e Qxe, nous I’avons dit pour la premiere fois, il y a bien des annfies (2), et nous devons ler^peter ici, n’est qu’un accident du delire, accident dont on a fait une lesion inteilectuellc distincte, sans t^gard pour les conditions pbysiologiques nerveuses dans lesquelles elle a pris naissance, comnie pour I’dtat psycbo-cerdbral dont elle est la manifestation exterieure, la representation sensible.
(1) Dans une foule de cas, dc la nature de la cause determinanle pa- rait dfipendre la forme du ddlire. La predisposition admise, le meme individu qu’un acces de colcrc, des d^sirs ambitieux trompes ont rendu maniaque, eflt et6 plonge dans la lypemanie la plus profonde par des chagrins domcsliques, I’exaltalion du sentiment religieux. (Ces remar¬ ques ont deja etc faites par Frank.)
Ajoutons quo si, par I’usage de certaines preparations, on se met vo- lontairement dans un eiat de delire ou de folie qui, pour etre artificiel, n’en est pas moins identique, au point de vue psychologique, bien en- lendu,avec la folie ordinaire spontanee, on se sentira lour a tourdomine par des id^es fixes, des instincts, des impulsions, trompe par de fausscs sensations, livid irresistiblcrncnt au bavardage, a I’incohdrence des pensecs qui caracldrisent la manie. Cc n’est qu’au ddbut, des le prin- cipe, que fe trouble inlellectuel est uniforme cl se iraduit invariabie- menl par la dissociation croissantc des iddes; oe n’est que plus lard que les formes du ddlire se drversifient, prennent un caraclere plus arretd, qu’elles finissent par masquer les autres sympldmes.
(2) Voyez entre autres, noire livre sm le Jiascliisch.
AU POINT DE VDE PATHOLOGIQUE.
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§ IV.
Aprfes ce que nous venons de dire, on comprendra, je pense, coinbien sont vains les inolifs siir lesquels s’appiiieiit ceux qui vculent dlablir une ligne de deinarcalion infranchissable entre la folie ctles aulres desordres du systeme nerveux.
Aux preuves directes quo nous avoiis d(5jii donntes, pour 6tayer ropinion conlraire, nous pouvons cn ajouter d’autres lirdes, pour ainsi dire, des cntrailles mfiines du sujel. C’est par rexposition la plus breve possible de ccs preuves que nous ter- minerons ce Iravail pour la longueur duquel nous reclamons I’indulgence de I’Academie, inaisque la nature des maliferes ne nous permellait guere d’abrfiger plus que nous ne I’avons fail.
En adinettanl, lout a riieure, que les troubles organiqiies donl le delire est I’expressiou avaieut une tendance, comme toutes les affections du cerveau, a passer k I’etat chronique, nous avons fait nos reserves.
Nous ne pensons pas, en effei, qu’il faille conclure de ik, suivant I’opiuion commune, que la folie est un elat esseniielle- ment chronique, et que toutes les fois que les troubles de I’es- prit sont accompagnfis de symptomes dits d’acuile, ils doivent prendre une autre ddnomination et former un ordre de maladies cl part.
A ce sujet, il est utile d’enirer dans I’examen approfondi de certains fails que la preoccupation gduierale a laisse passer ina- perfus. Ces fails deraontrent que la folie, la vdritable folie, nous voulons dire cede a laquelle personne ne pourra refuser ce nom, peut prdsenter dans son origine, son developpement, sa raarche,. sa lerminaison, lous les phenombnes propres aux affections ai- guesdu cerveau, caracldrisees principalcment par le trouble des faculies morales; je n’en excepie pas meme (qu’on ne se hate pas de nous trailer d'hdrdsiarque ) la lerminaison par la mort. Dans ce cas, le dblire, d’esseutiel (sine materia) qu’il 6tait pri- mitivement, devient idiopalhique.
J)E LA. FOLIE
Si Ton suit, eii eHet, dans toules ses phases I’evolution de la maladie, il est impossible de saisir la moindre lacune entre les symptomes qui en marquent le debut et la terminaison. II est impossible de ne pas reconnaitre quo la inort a die le resullat do la ra6me Ifeion organique qui a provoque, dfis le piincipo, les troubles du moral ; de niauitre que, chez celui qui succombe & une pneumonie, par excmple, c’esl a la mSme cause qu’il faut rapporter, el I’hepatisation des organes respiratoires, 16sion incompatible avec I’existeiice, etla simple rougeur des brooches qui aurait pu 6lre observee au commencement de la maladie. Dans les deux cas, le nial ne change pas de nature, il ne varie que d’inleiisite, et si les symptomes eux-raemes so modifienl en s’aggravant, leur caraclere essentiel reste le memo, comme celui du trouble organique qui eii est la source.
De quelle manifere cependant les palhologistes ont-iis envisage les choses dans les circonstances dont nous venous de parler?
Se fondant sur les apparences, ils ont, pour ainsi dire, scinde I’unitd morbide ; ils ont fait la part du physique el du moral dans les troubles fonctionnels qui surgissent; et lorsque ces troubles ont deborde jusqu’a compromettre la vie de I’individu, ils ont admis qu’une affection distincte de cclle qui prfiexistait etait survenue, laquelle avail emporle le malade. Pour eux, un aliens est un indiviclu ayant une existence morale differente de celle des autres hommes ; il n’est rien plus, et, comme le reste des hommes, il est sujet a des affections de I’cncfiphale qui peu- vent le tuer sans que les d6sordres de I’esprit soient en cause pour quoi que ce soil.
Cependant on voit succomber certains alifines h des lesions du cerveau qui , pendant la vie , se sont manifestoes presque exclusivement par des phOnomenes de I’ordre moral. C’esl en s’appuyant sur ces phenomfenes principalement que Ton a pu diagnostiquer ces lOsions ; en d’autres termes, la folie n’a Ote que I’expression symptoraatique de ces mOmes lOsions qui, par- venues a un haut degrO d’intensitO, ont fini par causer la mort.
AU POINT DE VCE PATH0E061QUE. 29
C’est par des modifications vari6es de la n6vrosit6 , par des sensations insolites dans la tete, des verliges, une sorte d’ivresse momentande, des lourdeurs, des tinlcments d’oreille, etc., que le mal a d6but6; et ces premiers accidents, qui, presque tou- jours, passent inapercus fautc de savoir les dficouvrir, s’accom- pagnent du trouble des idees, trouble qui, en s’aggravant, pr6- senle insensiblement les caracteres propres au dfilire maniaque ou bien aux idees fixes.
Si, au lieu de s’arrSter et de passer rapidement h I’fitat cbro- nique, ainsi que cela arrive dans la grande majoritd des cas, le mal poursuit son cours, on voit marcher de pair, pour ainsi dire, et les signes physiques, et les signes moraux de la Idsion qui envahit peu a pcu Torganc principal des fonctions nerveuses. lividemment la folie se lie ici au trouble organique dont elle est le plus important et presque I’unique symptdme; elle en est, pour ainsi dire, le signe thermomdtrique, comme la ggne plus ou moins grande de la respiration, la toux, I’expectoration sont les indices de I’aggravation et dela d6croissance de la pneumonie.
Certaines alterations de la substance du cerveau ou de ses enveloppes, designees sous le nom d’hyperemics , d’inflamma- tions, se font observer h I’autopsie. Ce sont, pour ne mention- nericique cellesqui se rencontrent le plus ordinaireraeut, une injection plus ou moins marquee des deux substances cere- brales, de la substance grise principalement, une infiltration sanguine ou sereuse des meninges, des epanchements de sero- sUe dans les ventricules, des erosions plus ou moins etendues de la superficie des couches corticales, etc., etc.
Or, ces lesions que sont-elles, que peuvent-elles etre, sinon I’expression materielle, tangible, du fait pathologique dont [la folie etait, durant la vie, I'expression fonctionnelle ?
Dira-t-ou qu’il n’existe aucun rapport necessaire entre ces deux ordres de phenomfenes, attendu que I’immense majorite des alienes n’otfre, aprfes la mort, aucune trace des desordres organiques dont nous venons de parler?
30 DE LA. POLIE
Je r^pondrai que ce dernier fait ne prouve absolument rien, par la raison que, chez les individus donl il s’agit, la maladie 6tait pass6e a I’eiat chronique, et que, dans ce cas, il a pu sur- venir dans I’organe malade telle modificaiion qui, en luissant persisler le delire, ou du moins ses principaux sympioines, a d^lruit Ics signes rnaleriels de lYlal aigu. Ce dernier dlat, celle forme de la maladie sont ici seuls en cause.
Les reflexions auxquelles nous venons de nous livrer sont deduiies de fails que les medecins d’alien6s sont tons les jours li meiiie d’observer, mais qui, b mon sens, n’ont pas et6 apprS- cies conime ils devaient I’etre.
Je n’en cilerai qu’un petit nombre qui servira de rbgle pour juger les cas analogues, beaucoup moins rares qu’on ne le croit generalement.
11s forment deux categories, dont la premiere comprend les fails dans lesquels la marcbe de la maladie a ete non interrom- pue; la denxifeme, ceux dans lesquels la mort n’est survenue qu’apres un ou plusieurs acces de folie aigue.
premiere catEgorie.
Premier fait. — Louis N. .. est admis it BicStre en 1853. Des chagrins domestiqucs paraissent etre la cause de la ma¬ ladie dont il cst alteint. Au dire de ses parents, sa sanl6 phy¬ sique a toujours ete excellenle.
Un mois environ avantson entree b I’hospice, L... etait devenu sombre, reveur, d’une irritabilite extreme. 11 n’accusait point de maux de tete, bien qu’il portat frequemment la main b son front comme pour en ecarler quelque chose qui I’irapor- tunait. 11 dormait peu. On I’a surpris parlant seul, b voix basse.
Un peu plus tard, L... se plaint d’etie eutour6 de gens qui vculent le perdre par d’odieuses imitulalions. 11 ne voit qu’un moyen de s’en deiivrer : ce moyen, c’est le suicide.
Lorsque L. .. est soumis, pour la premiere fois, b notre ob-
AU POINT DE VDE PATHOtOGIQUE, 51
servatioii, le moral seul parait 6tre affect^. Nul signe de dfisordre fonctionnel dans aucun organe. II esl pen communicatif, el pa¬ rait absorbe par des pensiies qu’il lui r6pugne de faire connaitre. II reste prbs de trois semaines (du 5 an 23 juillet) dans cel dial; puis insensibleiuent il devient moins tacilurne, el, sansaliendre in6me qu’on I’interroge, il parle des pretcndues vexations dont il est victime. Par moments, ses yeux s’animent, sa face devient tour <1 lour pale et vultueuse : signes nianifestes d’unc vive 6molion. Mouvemeuls insoliles des muscles de la face, des 16- vres ; sorle de dyspnee. Le pouls esl petit, serrc, un peu plus acc6l(5re que dans I’elat normal (6 90-96). Apr6s quelques jours ( le 29 juillet) , les accidents se calmenl presque lout 6 coup , puis reparaissent avec une intensil6 qui va sans cesse croissant. Aux convictions delirantes se joint une veritable agitation ma- niaque. Les idfies sont souvent incoh6renies. L... refuse toute nourriture. Il faut employer le gilet de force pour rempScher de se livrer it quelques exces centre lui-ineme ou conlre les malades couchfisit cole de lui. Le pouls s’eleve graduellement, et,apr6s avoir alteint 120-124, il relombe brusquemeut 6 54-58. Constipation, urines involontaires; face grippee, legers soubresauts des tendons, peau sbche, terreuse; cris, vocifera¬ tions. La respiration est de plus en plus embarrassee. La voix faiblit, s’eteint. Mort le 11 aout.
Al’autopsie: Coloration vive, uniforme, des couches corti- cales ; pointilld ties apparent de la substance blanche, 16gere iuQliration s6reuse des meninges. Ces membranes out nean- moins conserve leur transparence et n’adhferenl dans aucun point de la p6ripb6rie du cerveau et du cervelet. Consistance normale de la masse encSphalique.
Les autres organes sont 4 I’^ial sain.
Reflexions. — Bien que, dans I’eiat de nos connaissances, il soil difficile d’etablir aucun rapport materiel entre la mort et les symploines observes pendant la vie, on ne saurait douter que la mOme modification orgauique, quelle qu’elle soil, il u’im-
32 Dli FOLIK
poi’te, ait 6l6 I’origine de tous les troubles fonctionnels, mo-
raux ct physiques.
Sans sc preoccuper aulreinent de Tissue de la inaladie, il faut bien reconnailre que nous avons eu affaire ii un veritable mo- nomaniaque, a iin fou veritable, dans toute Tacception du mot. En revfitant la forme de cc qu’on est convenu d’appeler delire aigu, la maladie n’a pas pour cela perdu ses caractbres primi- tifs; elle est passee d’uncintensile moindre & une intensity plus grande, voila tout. Si au lieu de suivre une marclie ascendanle, elle n’avait pas dfipassc la premiere periode, ainsi que cela arrive daus la tris grande majorito des cas, L... serait rest6 lypemaniaque; mais alors en quoi cela eut-il modifie, change la nature essentielle de la lesion organique, des troubles fonction¬ nels par lesquels cette lesion s’etait manifestee? Convictions de- lirantes sans excitation et sans phenomenes reactionnels, inco¬ herence des idees, generalisation des troubles psyciiiques avec exaltation et fi6vro, sent bien evidemnient les phases diverses du meme travail morbide, les effets d’une merae cause.
Dans le cas que nous venous de rapporter, la folic s’est pr6- sent6e sous la forme la plus simple, et en meme temps la plus complete, dans revolution non interrompue de toutes ses p6- riodes. Sous cette forme, il est facile d’en saisir les veritables caractercs pathologiques, caractferes qu’on mficonnait au con- traire trcs facilcment, lorsqu’elle e.st passee a Tetat chronique.
Les memes reflexions s’appliquent au fait suivant.
Deuxieme fait. — M, le marquis de L... a dfija 6prouv6 un premier acces de folie qui, al’intensite pr^s, a offert les mfimes symptOmes que celui pour lequel on le confie it nos soins. M. de L. .. avait parfaitement gueri. Gependant il paraitrait que, de temps a autre , quelqucs anomalies dans son caractere , dans ses habitudes, faisaicnt craindre une rccliute. Il y a cinq mois, nonvelles inquietudes. M. *** montrait envers sa femme, ses enfants, ses serviteurs, une defiance maldissimuiee ; il ne parais- sait plus prendre le meme gout it ses occupations favorites.
AU POINT DE VUE PATH0L06IQUE. 33
L’horticulture 4lait sa passion cloininanlc, et il la nfgligeait. Tracassier, soupconneux a I’egard de ses hommes d’affaires, il voulait lout faire lui-metno. Du reste, pas la plus Idgeie indis¬ position, pas le moindrc trouble fonctionnel, au dire de son mfidecin ordinaire, de qui nous tenons ces details.
11 esl clair que c’fitait la les prodromes de la maladie qui, un peu plus lard, devait revetir un caractfire plus decidfi.
Quinze ou vingt jours avantson entree dans I’etablissemcnt, M. *** tombe dans une profonde mfilancolie. Il se confine dans son cabinet et ne veut plus voir personne. Il se persuade qu’il est enloure d’cnnemis, qu’on va luiinienter un proc6s dont la perte nepeut inanquer de causer sa ruine,
Conduit dansla maison de sante, M. *** parait plus indign6 que surpris, C’etaitlb, disait-il, une manoeuvre de ses ennerais qui, pour le perdre plus surement, le nieltaicnt ainsi dans I’impos- sibilil6 de plaider lui m6me sa cause devant ses juges. M.*** ma- nifesle, du reste, une grande resignation. Il est parfailement calme, s’exprimc avec clarifi et priicision, sans la moindre hesitation dans la parole.
La sante physique ne pr^sente d’autres troubles qu’un peu de faiblesse gi^nerale et une odeur assez forte de I’haleine, dont les privations que le malade s’impose depuis quelque temps rendent suflisamnient compte.
Void les motifs de ces privations :
« S’il refuse de manger, ce n’cst pas pour ob§ir ii des id6es de suicide; c’est tout le contraire. Il n’a pas, dit-il, d’aulre moyen d’dcliapper h la mort. Il s’est apercu, depuis longlemps, que souvent, aprds avoir mange, il ressentait des secousses dleclriques dans les membres et dans la tfite, que ses orcilles tintaient. Il on a conclu quo des gens mal intentionnes avaient trouvd le moyen de magnetiser ses aliments, comme ils magnd- tisaient lout ce qu’il loucliait. »
Quelques jours aprbs, je irouvai M. *** plus comraunicalif; il me dil qu’il fmirait par Iriompher de ses ennemis, que Dieu ANNAL. MED.-psven. 2' sdrie, I, vii. Janvier 1855. 3. 3
ZU DE r,A FOUE
6lail avec Ini ; la preiive, c’esl que, tout le long de la route, feignant dc dorniir dans sa chaise de poste, oii il 6iail place culre sa femme et son fils, il avait entendu la voixdes angis qui disaient; « Ne crains rieii, nous sommes priSs de toi, nous te protegerons. »
Ayant essayede lui faire quelqucs objections, W. *** s’anima lout il coup, ses yeux brillerenl d’un f-clal inaccoulumfi , puis, dcbout, la tete haute et profondeinent emu, une sorte de sourire sardonique sur Ics Ifevrcs, il parla d’un air inspird pendant plus devingt ininules. Je le quiltai, de peur d'accroitre son irrita¬ tion. Je le revis quelques heures apres ; il avail repris son calme habituel. La nuit 6tail venue, M. *** se coucha et parut prendre un peu de repos.
Le lendemain au matin , je lui trouvai la figure animde. M. *** se plaignait d’eprouvcr une vive chaleur au soinmetde la tfite. Le pouls 6tait regulier, vite, sans force. « Il a, dit-il, la tfiie rcmplie de Huide inagnetique; si Dieu ne le prend pas sous sa proleclion, on lui fera eclater le crane; on fait danser les objets devaiil ses yeux, etc. » La respiration parait s'embar- rasser; elle est peiiible, courte, extremement lenle. HI. *** est beaucoup plus faible cl ne peut rester debout plus de vingt h irente minutes. 11 s’dleiid sur son divan, el ne se plaint plus de secousses 61eciriques.
Dans la soiree, la figure a pall; les yeux, de vifs et brillants qu’ils elaient, paraissent se voiler; le regard etait sans expres¬ sion, Une gardcrobe provoquee amena un inieux inomeulan6. M. *** prit un peu de bouillon et dit se trouver mieux. Vers le milieu de la nuit, le gardien qui veillait a son chcvei rentendii se plaiiidre: HI. *** avait enliarement perdu connaissance; peu d’instaiUs apres il expirait.
L’autopsie n’a pu elre faite.
Reflexions. — Il est de touie 6vidence que dans le cas qu’on vieiil de lire comme dans celui qui pr6cede, il faut rapporter a la meine modification pathologique, et les d^sordresde I’intel-
AU POINT DE VUE PATHOLOGIQUE. 35'
ligpDce, et les troubles de I’organismc. Sans ceue Ifisioii quelle qu’ellc soil, ni la folie, ni la inort nefusseiU survenues. Ensuc- conibant a ralleralion c(‘r6bra!e qui avail caus6 sa folie, U. de L... esl rest6 ce qu’il n’avaiicesse d’etre depuis plusieurs an- nties, lypcnianiaipie purement ct siinplement.
La nia!adic avail ele coinnic enrayee une premifere fois. La secoiide fois, clle a parcouru rapideinciit toules ses periodes, et, apres avoir trouble le moral, ello a atleiiit jusqu’aux sources memos de la vie.
N’csl-ce pas exaclement ce qui arriverait ^ un iudividu qui, aujourd'luii, aurail pris d’un narcolique quelconque, juste assez pour avoir du ddlire , et qui plus lard exagSrerait la dose jusqu’a rempoisonneineiit ?
DEUXllLME CATfiGORIE.
Les fails appartenant a la deuxifime categorie se dislinguent des pr(5c6deiits par la forme et la marche de la maladie: carac- ifires peu importanisqoant au fond, niais lr6s digues d’attenlion, si Ton se place a noire point de vue.
En effet, apres une periode d’acuile plus ou moins courte , le chaiigement survenu dans les facultes morales devient sla- tionnaire, nous avons presque ditpbysiologique; le malade d6- raisouneii froid, sans arriere-pensee, sans rombre m6me d’un dome souleve par le sens iniirae; mfime absence de louterfiac- lion physique; le d^lire est enlrc dans la constitution : il est, suivant I’expression consacree, devenu chronique. C’esl alors quo I'alieni, vu a iravcrs le prisme des iddes regnanlcs, n’est plus un malade coinme lous les aulres malades. C’est un indi- vidu qui, sur certains sujets, a des idees, des opinions dilTerentes de cedes des aulres homines, des idees qui le dorainent, il est vrai, jusqu’a lui enlevei’ sou libre aibitre, mais qui, pour cela n’impliquent pas de lesion materielle a laquelle il faille n^ces- sairement les rapporter.
Qu’arrive-t-il7 Apr6s un laps de temps plus ou moins long.
56 Dli LA FOLIE
apr^s line amide, dix amides nienie, cela s'est vu , les formes aigues, les accidents symptomatologiques dc la premiere periode reparaissent. Le travail iiiorbide primitif est rnpris coniiiie en sous-oeuvre; iiiais, cette fois, au lieu de s’arreter, il continue, va s’aggravanl de jour en jour jusqu’a ce que mort s’ensuive.
Ce genre dc fails n’a gudre moins contribud que ceux dc la premiere categorie a engager robservai ion dans une manvaise voie.
II faul s’en prendre a ce que les deux pdriodes extremes de la maladicontdidmeconnues.ouplutot mal apprdciees. L’atlen- tion s’est porlde exclusiveniciit sur la periode inierniddiaire, la plus longue, la plus facile ’i observer. Les cnseignenients four- nis par les deux autres out dtd perdus. La pdriode moyenne a dtd seule prise en consideration ; on a mdme imposd a cliaque periode des ddnoniinalioiis differentes ; dMire pour les deux pdriodes exlrdraes, folk pour la periode inlermddiaire.
Or, quand on rdlldchit h I’iniportance que niettent les alid- nistes h dislinguer la folie proprenieni dite du ddlirc; quand on pense qu’aux yeux de bon iiombre d’entre eux, folie et ddlire exprinient deux dtats, deux manieres d’dtre de la dualile psycho- somatique de I’komme (je dois ici employer leur langage), dials qui ne dilTerent pas moins I’uii de I’aulre quo Tame do la ma- tiere, attendu, diseiil-ils, que le premier tient essentiellement et ndeessairement au dynamisme de rentendenient pur, tandis que Ic second est sous la ddpendance immddiale de rorganisiiie, on coniprend tout dc suite ou devait conduire I’observation ainsi incomplete et ironqude d’un dial raorbide que rien n’au- lorise a couper ainsi en deux, en faisant ainsi une part pour I’anie, une autre pour le corps.
Mais venous aux fails.
J’ai eu longtemps dans moii service un individu Sgd do trente-deux ans, qui dlait en proie aux hallucinations les plus dlraiiges et les plus varides. II les rapportait It Taction d’un fluide niagiidtique que lui lan^aient des mains invisibles.
AU POINT DE VUE PA'IHOLOGIQUE. 37
B. .. dtait habituellcment fort calme, et, comme lous Ics monomaniaques, plein de raison et de bon sens dans la conver¬ sation, taut que le sujet de ses idees fixes n’fitaitpas en cause. De temps a autre, six ou sept fois dans le courant d’une annee, il ^prouvait un pen d’excitation. De taciturne qu’il itait, B... devenait d’abord plus expansif, puis bavard. Sa figure pale s’a- niniait, et semblaii rcfleter au deliors la colfcre qui I’agilait inte- rieurement. 11 redoublait de plaintes contre ses persdcuteurs, qui, disait-il, le lardaient de coups de couteau pendant son som- uieil et memo le jour. « C’est a nia l6te principalement que ces mis6rables s’adressent, et ils trouvent moyeu de faire passer a travel's ina cervelle comme des eclairs de douleurs. »
Ces pdriodes d’excitaiion , qui ^laient comme nn relour <i r^tat d’acuitfi qui avait signalc le ddbut de la maladie, duraient trois semaines, un mois auplus. Apres ce temps, B. .. redeve- nait, comme auparavant, calme et m61ancolique.
Dans le courant de la troisieme annee.de son s6jour k I’hos- pice, B... manifcsta une cerlaine incoherence dans les id6es; incoherence bien plus apparente pendant la pSriode d’excitation que dans I’inlervalle.
Enfin, au mois de mai 18A7, B. .. se plaignit plus vivement qu’il ne I’avait encore fait, des tortures qu’ou lui faisait endurcr. « Cette fois, rep6tait-il sans cesse, je vois bien que les sceiS- rals out resolu d’cn finir. » 11 accusait de vives douleurs dans la tete. *« On lui avail introduit dans le crane un gaz inflammable pour le faire eclater ; on lui comprimait la poilrine a lui faire perdre la respiration, etc. » La circulation, qui Jusqu’ii ce jour n’avait jamais preseute de trouble notable, deviut irrAguliere. Le pouls flit plein, sec, plulot lent qu’acc61er6; la peau, skche, brulante; la constipation fut habiluelle. Les yeux, dc vifs et brillants qu’ils 6laient au debut, furent de plus en plus mornes, et le regard fut vague, comme empreint de terreur.
Le Iroisikme jour, B... parail plus accabld que la veille. Sa voix 6lail brbve, saccadee, halelante. <• Oh! les inis6rables, ne cessait-il de s’dcrier, les inisdrables! ils me tiennent, je ne leur
38 DE LA FOIIE
dchapperai pas! » De lagers et rapides mouvements convulsifs se firont remarquer dans les bras; le coma surviut, et B... mourut dans la null.
Autopsie. — Injection sanguine dcs mdninges a peu prfes gfi- nerale, raais surlout ires prononcde au niveau de la partie an- t6rieure des lobes c^rebraux. Pas d’adherences de la pie-m5re avec la substance corticale.
Cette substance, d'ailleurs, est d’un rouge brun fonc6, uni- forme, dans lequel disparaissent toutes les traces des diverses couches dont elle est composite.
La substance m^dullaire ou blanche no parait dilTdrer do I’fi- tat normal quo par un redet rose qui n’est sensible que dans la portion antcrieure dcs lobes cerebraux,
Les cavit(5s splanchniques ne presentent rien d'anormal.
Reflexions. — Encore ici , nous le demandons, symptomes psychiques et physiques ne decoulent-ils pas de la mSme source? Les Ifisions observees aprfes la mort ne sont-elles pas I’expression anatomo-paibologique, aussi bicn des troubles de rinlelligence que de lous les aulres desordres de I’inncrvation qui se sent produits pendant la vie?
Je sais les objections banales qu’on a coutume de faire centre cclte maniere de voir; mais, jc sais aussi qu’il n’esi gnere de lesion cadaveritpie qui ne puissc donner lieu ade semblabics objections, dcs qu’on veut ctablir enlre elle et les symptomes observes sur le malade vivant certains rapports de causalit6.
Ainsi done, idites fixes, sensations anormales, vertiges, ^blouissements, mouvements convulsifs, etc., ces formes mul¬ tiples sous lesquelles se Iraduit le travail morbide dont I’ence- phale est le sii'gc, comment, poui' quelle raison en faire deux ordres dislincts de maladies, auxqucis on donnera le nom, h run d’alidnalion mentale, it I’autre de mdningite, d’cncepha- lile aigue on chronique? N’esl-il pas plus rationnel d’admettre qu’il ne s’agilici que d’une settle et m6me maladie, d’uneindi- vidualild paihologique simple, it symptomes varies, comme les fonctions de I’organe qui en est le si6ge ?
AD POINT DE VUE PATHOtOGIQDE. 5D
B. .. §tait poiirlanl un fou dans toiite I’acceplion du rHoi, dans le sens le plus rigoureux que I’on pr6tc a celte expression, j’allais dire dans le sens le plus spiritualiste, le plus exclusif de lout dcsordre nial^riel ! Lcs causes de la inaladie 6laient loutes morales; le mal durait depuis plus de deux ans: c’fitaient lea idi-'es fixes, les erieurs des sens et de la sensibilild gendrale que Ton rcmarqne chez la plupart des alidiies. En dehors de ces aberrations, I’esprit du maladc avail conserve, cetle recti¬ tude, cetle juslcsse qui sonl le caraclere distinclif de la mono- manic ou ddlire partiel. De troubles physiques aucun, excepld ceux qui peuvent se rencoutrer dans le corns de la vie de lout individu !
II nous serait facile de multiplier nos observations, les fails de ce genre ne sont pas rares; mais nous craindrions de faligner raltention de I’Acaddmio.
Void nos conclusions :
r La foliecst une affection identique, quant a sa nature, avec touics les autres affections de rorgaiiisme humain.
C’est line lesion du cerveau dans laquelle le dynamismc nerveux pout etre trouble, perverti dans ses manifestations intcllectuelles, primitivement , en dehors de Ionic influence symptomatique, ainsi qu’il lui arrive de I’etre quant h des ma¬ nifestations d’un autre ordre, dans certaines ndvroses, comme I’cpilepsie, I’hyslerie, ces verilables delires de la motilite.
2" Les troubles fonctionnels du cerveau sc confondent tons a leur origine : In radice conveniunt, suivant I’expression de .1. Frank,
Dans les cas ou la modification cdrebrale porte specialement sur la faculle pensanie, les deux lermes extremes se rapprochent et s’idenlifienl. Ainsi, de I’etat de sommeil complet, on arrive inscnsiblenient el par gradation a la folie lamieux caracterisee.
D’ou il est permis de concliireque I'etalde sommeil, psycho logiquement parlant, est la condition essentielle des iddes deii- ranlesou de la folie proprement dite.
40 DE LA FOUE AD POINT DE VUE PATHOEOGIQDE.
3” Si on I’envisage dans scs conditions palhogeniques, on voit frfiqueinment la folio coincider avec la perversion, I’abo- lilion complete on incompifeie des faciiltesniotrices, de la sensi- bilitfi gfmgrale, des sens speciaux : par exemple, dans les cas corapris par Sauvages dans la classe desl6lbargies, dans le deli¬ rium tremens, i’epilepsie, I’hystirie, etc.
D’auire part, toujours les symptomes psychiques de la folie sont prficMds d’accidents purement nerveux.
Enfin, ces ph6nomenes s’observent conslammcnt dans la folie aigue provoqude par des moyeiis artificiels, sous I’in- fluence d’agcnts toxiques tels que ropium, I’extrait de chanvre indien, etc,
4" Pour combattre rassimilaiion du delire a la folie propre- incnt dile, les auteurs s’appuient sur les caracteres suivants :
1° L’absence de fi^vre [absque febre, Ar6tee,... sansfi6vre, Esquirol).
2° Sa dmte [diuturna, Aretfie,... chronique, Esquirol).
3° L’exlrfime variate de formes sous lesquelles elle se produil.
Ces motifs sont de nulle valeur, attendu que :
1° L’absence de reaction fdbrile, I’dtat chronique, sont des caractferes propres ii la plupart des ncvro.ses.
2° Les distinctions etablies enlre les diverses pe.riodes d’une maladie quelconque no cliangeni point la nature de cette ma- ladie, et ne sauraient permetire, en aucune facon, de faire de cesp6riodes autantde maladies differentes.
4° Dans I’etat maniaque et dans la folie partielle, la 16sion qui a frappe les facult^s est la mOme.
5” D’esseniiel ou primiiif qu’il^taitd’abord, c’est-ii-dire con- stiluant un trouble siroplementdynamique ou nerveux, le d^lire peut devenir idiopatbique, se rattacher a des lesions inat^rielles des differentes parties de I’encephale ; dans ce cas, la folie pr4- senle dans son ddveloppement, sa marche, sa terminaison, tons es phdnoraenes propres aux affections aigues du cerveau caraetd- ris^es principalemeut par le ddsordre des facult4s morales.
NOLVELLES OBSERVATIOINS
Z.E GOXTRE ET LE GRETINISIVIE,
ALEXIS BILLIET,
Arclievequc de Cliambery ;
AVEC SES RinEXIOXS Par M. MOKieii,
M^deciii en chef de I'asile de Marcville (alcurlhe) (1).
Cbambery, 20 juillct ISSA.
Monsieur ee docteur ,
Je suis bien en retard de repondre a voire dernifere lellre , inais elle est fort longue; ce n’est qu’avec peine qiie j’ai pu ra- vir b mes nombreuses occupations le temps necessaire pour la lire et ranalyser. Vous in’avez manifeste le d6sir de connaiire le jugement que j’aurai porte sur les opinions que vous y expri- mez ; je vais le faire en peu de mots en suivant I’ordre rafinie de votre lettrc. Je vous prie de ne donner b nion avis qu’une importance tres limitee; car je ne suis pas m^decin, eljen’ai 6t6 quo bien rarement dans le cas de faire des observations par inoi-meme.
Vous me dites que vous avez re?u la visile de M. le docteur Guggenbuhl ; je vous en felicite. C’est un homme qui a form6 une grande entreprise, et qui montre un beau dfivouement. J’ai en aussi ravantage de le voir ici, et j’ai reinarque avec plaisir qu’il a sur I’^tiologie du goitre et du crdtinisme b peu prbs les
(I) Voyez les num6ros d'avril, juillel et oclobrc 18M.
VEIXES OBSERVATIONS
U2
memes idees que nous. II y a environ une annte que M. le coinle Crotli cle Cortigliole, ancien ininistre de S. M. le roi de Sardaigne en Suisse, a formfi h Aoste un oiablissemenl du mfirae genre.
Cerlainement il esl tr6s louable de donner des soins ii I’ddu- cation physique el morale des jennes cretins, aulant (|u’ils en soul snsccplibles; inais , au fond, je cruis qu’ici riiumanitd a beaucoup pins it esperer de la propliylaxie que de la iherapcu- lique; car si un enfant est gravenient alleinl de cretinisme des sa naissance, les soins de la charild parviendront bien ii am61io- rer un peu son tlal, inais on ne pent pas ordinairement en es¬ perer une guerison complete.
Vous atlribuez au goitre el au cretinisme une origine com¬ mune; ccla me parait incontestable, car ces deux maladies se raanifestent lonjonrs simullandment dans les inemes localities et toujnurs ii pen pres dans les inemes proportions. Voua avez vu dans le mdmoire qnej’ai eu riionneur de vous adresser qu’cn 18ii5, le recensement que j’ai fait faire pr6senlait le resullat suivanl :
Dans le diocfese de Cliarabery, sur une population de 176,1 A5 habitants :
Goitre scnl . 303 515 818
Criilinisme .senl . 8i( 79 163
Goitre et cretinisme . . 103 103 206
A90 697 1,187
Dans le dioc6se de Maurienne, sur une population de 63,156 habitants :
fiarcons. Fillcs. Total.
Goitre seui . 1,840 2,170 4,010
Creliuisme senl . 172 124 296
Goitre et cretinisme . . 623 658 1,281
2,633 2,952 5,587
On voit par ce resum6: 1" que les cas de goitre sont beau- coup plus nombreux que ceux de cretinisme ; 2“ quiil y a plus
SUR LE GOITRE ET LE CRfiTINlSME.
de filles que de gaicnns atleintes de goiire, et plus de gargons que de fillcs alicinls de cr4linisme. Je partage volontiers votre avis, que le priucipe (oxique qui cause le cretinisme exerce son action principalcmenl sur le sysleme c^lTbl•o-spinal, et affecte ainsi toule I’organisalion de I’individu ; tandis que pour pro- duire le goiire, lorsqu’il est seui, il se borne ii riiyperlrophie de la glande Ibyroide. 11 est certain qu’en dehors des localil^s ouces deux infirmii6s soul endemiques, il y a des cas de goitre et aussi des cas de cretinisme sporadique. Je crois, comiiie vous, quo les cas de goitre sporadique sont proporlionnellement beaucoup plus nombreux que ceux de cretinisme sporadique. On pent ajouler que le cretinisme sporadique n'est ordinaire- mcnl qu’iine espbee d’idiotisme, qui ne presente pas tons les caraclbres de cretinisme endemique (1).
Vous faites observer que le terrain du village A^Laxoa, oil le goitre est endbmique, conlicnt du mineral de fer. Je m’etais imagind que les eaux ferrugiucuses seiaienl peut-etre un pre- servatifou un remdde conlre cette maladie; mais une remarque que je viens de faire me semble prouver le conlraire, Vous voyez sur mon tableau que, dans le diocese de Maurienne, la commune de Sainl-Georges d’Hurtieres a 299 personnes at- teinles de goiire ou de cretinisme sur une population de 1,217 individus, et cependant on y exploite plusieurs mines de fer, et le sol y parait gdneralemeni trds ferrugineux (2).
Vous ajoulez que le terrain de Laxou est dans la constitution
(1) Dans I’introduction qui doit preedder ces letlres et dans les jdan- ches lithographiecs qui les suivront, je reviens sur cellc idic de Mon¬ seigneur I'an hevcquc de Chainlidry, et je chcrelicrai a diablir les ana¬ logies qui existent outre ces eires degeneres. D' BIonEt..
(21 II arrive peut-etre pour eette commune ee qui exislc a I.axou et dans d’autres localilds oil sc rcnconire du mineral de for. I,cs sources se trouvenl au-dessous ou au-dessus des straiiBcations mbuldfires, cn sortc que ces dernieres ne peuvent communiquer aux eaux aucune de leurs propribtes. D' Mobbi.
hU NOUVELLES OBSERVATIONS
gSologique du lias. Or, on parait convenir aujourd’hui que, dans les provinces de Tarcnlaise et de Maurienne, oii les cas de goitre cl de cretinisme sont si nombreux, le terrain appartienl aussi presque entierement an lias. Les habilations ou Ton en irouve parliculi6iement sont cedes qui sont baiies sur la chaux sulfalfie ou sur I’argile. Dans les endroiis ou ces terrains ont etd transport's, la cause du goitre a ct6 transportde en niCnie temps, soil que le transport ait 6l6 produit par les causes en¬ core agissantes, c’est-h-dire par les riviferes, soil qu’il remonte aux temps g^ologiques antdrieurs it I’dpoque diluvienne. On en trouve aussi des cas sur les terrains granitiques et sur le grds terliaire, mais en quelques endroits seulement. On pour- rait citer beaucoup de villages situds cxclusivement sur le gres lertiaire, qui n’y sont aucunement sujets. Nous n’avons, en Savoie, pas assez de calcaire raagnesien pour juger de son in¬ fluence sur la population. Les terrains qui paraissent les plus sains , les plus exempts de toute influence crdtinisante, sont le calcaire compacte jurassique, ndocomien et crdtacd dans tons ses diffdrenls dtages. La tempdralure doit aussi Stre prise en consi- ddration ; car, dans les valldes des Alpes qui appartiennent au lias, la nature du terrain reslant la meme, les cas de goitre et de crdtinismedevienuent de plus en plus rates a inesure qu’on s’dleve davantage. Il y en a peu d’exemples au-dessus de 1,200 a 1,400 metres d’dldvalion. Il serait done absurde d’en attri- buer la production a I’eau provenant de la fonle des neiges.
J’ai lu avec intdrdt ce que vous dites dans voire leltre de la diminution du goitre & Nancy et dans quelques localites des en¬ virons ; je vous en felicite. Il ne parait pas prouv6 qu’il y ail eu jusqu’ici uue diminution analogue en Savoie; quelques per- sonnes I’assurent, mais leur opinion ne parait fondde que sur des donnfies vagues et incertaines. Au reste, cette diminution ne pent pas avoir eu lieu dans noire pays; car jusqu’ici on n’y a encore rien ou presque rien fait pour robtenir.
Nous savonsque, depuis peu de jours, M. le docteur Motlard
SUR LE GOITRE ET LE CRliTlNISME. IlS
a autoris6 par le gouvernement & faire quelques essais au village (le Pontamalrey, pres Saint-Jean de 51aurienne. Nous faisons des voeux bien sincferes pour le succes de cette louable enlreprise. II serait h d(5sirer que le gouvernement franfais fit faire un recensement general des goitreux et des cr6tins dans tons les departements ; il servirait de terrae de comparaison pour touies les amfiliorations qu’on espere oblenir dans la suite (1).
Vous attribuez en assez grande partie, ce me semble, les arafilioralions notables qu’on a obtenues dans vos environs, aux alliances contraclees avcc des etrangers. En Mauricnne , ce moyen est eniployd aussi de temps immemorial, mais avec un succes trfis limits. Dans les communes de Saint-Alban et de Saint-Georges d’Hurtiferes, ordinairement les filles deviennent tantes; les jeunes gens vont chercher des femmes dans les mon- tagnes voisines, ou rendemicit(i du goitre n’existe pas. Celles qui y arrivent h I’age de dix-huit it trente ans, ne contractent pas le cretinisme ; mais elles sont sujettes au goitre presque au- tant que les indigenes, et leurs enfants sont exposds au goitre et au crdtinisme comme le resle de la population. Quoique I’usage de ces alliances avec des femmes elrangeres soil ddjit ancicn dans ces deux communes, I’dtat general de la population n’en a pas die sensiblement ameliord.
Vous paraissez conserver une grande esperance de faire dispa- railre entieremenl ces iristes degendrescences, principalement en amdiiorant les conditions hygidniques. C’est a peu prds le seul point dans lequel mon opinion diffdre encore un peu de la v6tre ; car il me semble que nous sommes mainlenant d’accord sur tout le reste.
(I) C’cst le voeu que je forme aussi tie mon cOltj. La plupart des sia- tisliques qui me sont parvenucs sont fauiives, et cela se comprend, quand on connait la susceplibilild des families qui onl des cretins et des goitreux. Je propose aussi d’avoir la carte gSologique des departements oii cette cndemicite cxiste. On comprend que ce n’est que le gouverne¬ ment ou le departement qui pourraient prendre de pareilles initiatives.
D' Morbl.
NOUVELLES OBSERVATIONS
/l6
Je suis parfaitemeiit d’avis qu’il faiit aiilant que possible, et le plus l6i possible, aineliorer les conditions bygieni(ines, dessecher 1l‘s niarais, diguer les rivieres f 1), dcb.iiser les villages pour donner ii Fair nne circulation plus facile, assaitiir les habita¬ tions, ne pas laisser des families enlieres loger sur la tcn e hu- inicle, ameiier do bonnes eaux au milieu des liaineaux, etc. L’emploi de ces nioyens esl important ct pressant, tout Ic monde en convient; on pent en alleudre de grands avantagcs : ils dimi- nueronl peut-etre de beaucoup I'endemie goitretise et cr6ti- neuse , mais ils ne la feront pas cesser enticrement, parce qu’ils ne peuveui rcmedier qu’aux causes secondaires. J/etablisscraeiU des citernes, I’usage des boissons et dii sel iodurds peuvent donner plus d’esp^rauce, en agissaiit plus directemeut sur la cause specifique.
Vous me disiez dans votre lettre du premier juin, qu’on ne pourra faire des essais satisfaisants que lorsque lesgouverne- ments voudroiit bieu s’en occuper eux-meines ; cela est Evident. Les habitants des campagnes sont generalement iroppauvres, trop indolents et Irop routiniers pour qu’on puissc atteudre d’eux des essais vraiment utiles. Pour un gouvcrneinent, les de- penses a faire ne seraient pas considerabies: il faudrait pour cela etablirdans cliaque arrondissement cuntamine une commission composced’un medecin geologue, etde quclques bous adminis- trateurs munis d'un pouvoirsjflisammentetendu et souinis h la direction de I’autorite locale (2). On pourrait faire les premiers essais sur un petit uombre de communes it la fois.
;i} Quand on a digue une riviere, on pratique des atlcrrissements sur ses bords pour tes rendre a la culture; les iniastncs que produil celte operation, landis qu’elle dure, causcnt dcs ficvres beaucoup plus opi- nidtres ct plus dangercuscs que les fievres paludecnnes ordinaires. C’csl une nouvelle preuvc de la mauvaisc influence que le sol pcut exercer.
(2) Dans mon introduction, je propose qu’un inddeein spdcialemeiU nomme par le gouvernement reside dans ces metncs localites, el qu’il soil vis-a-vis I’administration et les habitants ee qu’est un mddecin d’a- lidnes dans la position qu’il occupe duns un asile.
D' Morel.
SUR LE GOITRE EX LE GRfiXlNlSME. 47
M, le docteur Anceloti, que vous citez dans votre lettre, re- inarque que les communes de Marsal, Moyenvic, Vic et Dieuze, oCi le goiire csl ciidemique, sont situces sue les bordsdela Seille ; vousavez dil vous-meme aussi que la Robertsau se Irouve sur les bords du Rhiu ; dans un inemoire Ires inlib'essaut qu’il vientde publier, M. le docteur Vingtrinicr, do Rouen, observe qu’il y a dans le d6parteinent de la Seine-Inferieure vingt-trois communes offraiU dcs cas de goitre, et quo loules ces communes soul situ6es sur les rives de la Seine. Nous remartpions aussi en Savoie que les villages batis sur les alluvions du Rhone soiU trfes sujels au goiire et au creiinisme; on pent ciier le village des Bes¬ sons de la commune de la Balme , celui d’Etaing de la com¬ mune d’Yonne, et celui de Haloi de la commune de Serrieres. Cette observation a dejh 6lefaite par le docteur Grange : » Ces » alTeclions, dit-il , suivent sur un ties grand espace les terrains I) d’alluvion qui proviennent des pays on le goitre csl endiimi- » que. » (Lettre a iil. Ferrus.) «Ce dernier fait du transport de » la cause endtimique avec les lerres deplacdes d’une localit6 '> contaminee, dit le docteur Vingtrinier, paraiira sans doute » 4 lout le monde, comme ii nous , d’une grande importance » dans I’clude qui se poursuit; car il met cctle cause enlifere- » menl a decouvert, » [Du goitre endemique dans le departe- ment de la Seine-Inferieure, 1854.)
Vous supposez que le goiire et le creiinisme sont des mala¬ dies liC-reditaires; je les crois cn effet transmissibles it la pre¬ miere , el peul-elre m6me quelquefois jusqu’a la seconde gene¬ ration. Rlais il en juger par les fails que j’ai pu observer, il me semble que si une famille alteinle passe d’un pays ou ces deux maladies sonteiuiemiques, dans un autre qui en cst compiete- mentexempt, apres la seconde generation ordinairement il ii’en resteplus de trace; tandisque si une famille saine arrive dans un pays ou regne I’endernie, les enfants dejii nes peuveiU y con- tracter le goitre, el les enfants a naitre sont sujels au goitre et au creiinisme, comme si la famille yeiait Gxee depuis longlemps.
k8 NOUVELI.ES OBSERVATIONS
C'est du raoins ce que pliisieurs personnes m’ont assur6. J’ad- niels voloniiei's lajustessede vos observations relalivement it la pr6disposition que le principe toxique produit dans les families qui babiieiit depiiis longtemps un pays sujet au cretinisrae; maisje crois aussi qu’eii cas d’^migration, celle prd’disposi- lion ne s’etend pas au dcla de la premifsre ou de la scconde gdndration.
Vous faites sagcmeiu observer qu’on devrait dludier avec plus de soins les rapports des affections enddmiques avec la constitution gdologique du sol. II est certain qu’il y a des ma¬ ladies particulifircs a ccrtaines localitds : tels sont la peste en Syrie, le choldra dans I’lndc, la fievre jaune en Amerique, la plique en Pologne, les fi6vres paluddennes pres des marais, et les fifivres raalignes dans le voisinage des atterrissements. Les vel6rinaires pourraient faire des observations analogues sur les maladies des animaux. Ilya des epizootics qui de temps imme¬ morial sfivissent dans une province sans qu’on s’en apercoive dans les provinces voisines.
Abordant ensuite la question gdologique, vous remarquez que la chaine des Vosges, situee a Test de votre departement, a 6te soulevee h rdpoque oil le grfesvosgien couvrait le sol; que les autrcs terrains y out ete successivement deposes & des 6po- ques plus ou moins eloignees ; que le niveau des mers qui for- maient ces depots, s’abaissant continuellement, chacun d’eux nc pouvait s’elever aussi haut que le precedent, ct qu’ainsi it partir des sommets granitiques des Vosges, les autres terrains for- ment ceinture autour de leur pied. Nous obscrvons en Savoie des phenomenes tout a fait analogues h ceux que vous decrivez. On voit pres de Chambery, de chaque cote d’une chaine de calcaire oolitliique, une lisiire de gres tertiaire qui ne s’eifeve qu’iila moitie de sa hauteur. J’en conclus que cette chaine cal¬ caire a etesoulevCe lenteinent, qu’elle etait deja eieveeli moitie quand les couches de gres ont ete depusees 5 sa base, et que ce souievement a continue encore longtemps apres ce depot, puis-
SUU LE GOITRE ET CE CRfiTINISME.
que les couches dc gres sout aussi inclinees ct appuyees conlre la panic inf6rieure cle la luuutagne.
Nous trouvons pres d’ici, un aucien niveau des eaux de la mer parfailement reconnaissable sur une assez longue ligne, et situ6 h environ 300 metres au-dcssusde la hauteur actuellede I’Ocean. Celle difference de niveau cst-elle due a un abaisseraent des eaux de la mer, ou au soulevement de la monlagne? Je laisse ii des geologues plus habiles le soin der6soudre cettc question. Le ph6nomene que vous citez, vous laissera probablemeiit dans la meme incertitude. Ici, rintercalalion d’un terrain d’eau douce cntre deux formations marines nous semble meme prouver que quelques terrains ont (5te successivement deux fois submerges dans les eaux de la mer, et deux fois releves au-dessus de leur niveau .
L’observation que M. le docteur Nesera faite & Sainte-Marie- aux-Mincs, pent se verifier aussi en Maurienne et en Tarentaise. Ce sont les provinces dela Savoie ou les casde goitre el dc cr6- tinisme sont plus frOquents; et cependant on y trouve aussi eu grande quantile du granit iwrphyroide, de la serpentine, de I’amphibole, du gneis, des schistes lalqueux et des schistes mi- cac6s. II parait certain quo les eaux issues des terrains argileux et gypseux sont cedes qui produisent plus ordinairenient le goitre et le cr^tinisme endtoiiques; les eaux qui sortent des roches dures sont beaucoup moins dangereuses. Cependant, nous avons aussi des localites dont tout le terrain est formfi dc gneiss, de schistes lalqueux, amphiboliques ou micacds, et qui sout loin d’etre exemptes de I’endemicite crelineuse. Je ne crois done pas it I’innocuite absolue des substances talqueuses ou gra- nitiques.
Je suis lout h fait de voire avis, lorsque vous dites, avec M. Chatin, qu’on ne pourrait nier I’influence de ceiTaines eaux, sans se meltre en contradiction avec I’opinion populaire la plus constante et robservalion des fails, II y a des eaux qui donnont le goitre et d’autres qui en guerissent. Ce que M. Guggenbiilil MED. -p.sYcn. 3' s^rie, l, VII. Janvier 1855, C 4
ANNAt.
50 NOUVELLES OBSERVATIONS
voLis a dit de la source de Saiiit-Jiilieii, est un fait coiinu en Mauricniie; il esl certain que plusieurs fois des jeuhes gens en out fait usage pendant un mois ou deux avant la conscription, pour se donnerdu goitre ou pourrcndre plus voluniineux celui qn’ils avaient deja, afin d’obtenir {’exemption du service mili- taire. Clette eau depose beauconp de tuf ; elle descend de la mon- tagne par un lung canal qu’elle s'est formfie elle-raeme. Or, il parait reconnu que les eaux qui deposent du tuf, celles qui sont argileusesou seleniteuscs, sont celles qui produisentplusordinai- renient le goitre; il esl incontestable anssi (|ue celles qui sont plus ou inoins iodurfies en guerisseni. Nous avons pres d’ici, celles de tibasses, du docteur Donienget, qui sont sulfurenses et iodurees, et celles de la commune de Coise. Cette dcrniere source esl tres connue des paysans, qui ne permettent pas aux vaches, ni meine aux nourrices, d’en boire, parce que, disent-ils, elle leur enleve le lait ; ce qui prouve qu’elle agit sur les glandes.
On peut ajouter aux observations de M. le professeur Heu- singer snr les terrains argileux, que le froment qui y croit, fait un pain beaucoup plus brun que celui qui a cru sur un sol calcaire ; ce fait a 6tc souvent observe a Saiot-.Iean-dc-Mau- rienne.
J’ai loujours cru qu’on nait cretin et qu’on devient goitreux. Je suis done pleinement de votre avis, lorsque vous dites que la cause du creiinisme exerce son action sur le systeme cerebro¬ spinal el atteint I’individu dans sa vie foetale; cependant je pense bien aussi qu’elle peut continuer d’agir encore apres la nais- sance et aggraver le mal. Celui qui enverrait une femme en¬ ceinte dans un pays sain, pour la soustraire a cette innuencej ferait done une chose trfes prudente. On ferait bien do prendre la meme precaution a I’egard des enfants qu’on met en nourris- sage. Comme les enfants ties cretins ou cretineux sont loujours ties arri6r6sj ce n’estordinairementqu’a I’age de trois ou quatre ans qu’on reconnait avec certitude qu’ils sont depourvus d’iii- telligeuce. Quelques medecins se sont persuades qu’ils ne deve-
SUR LE GOITRE ET LE CRfeXINlSME.
51
naienl cr6tins qu’h cet age. Celle opinion parait coiUraire 5 la V(5rile, an moins pour la plupart lies cas. S’il esl vrai que la cause du cr6linisnie agisse principaleinent sur le*sysl6nie cere- bro-spinal, qui esl un prolnngemenl du cerveau, il n’est pas filonnanl qu’elle alTecle I’individu dans toul I’ensemble de sa consiilulion ; landis que la cause du goiire au coniraire, qnand il se Iroiive seul, ne paraii agirque sur les glandes lliyroidiennes.
Enfin j’adople coniplfilemenl les conclusions expusees li la fin do voire leltre. Je pense, comme vous, que le goitre el le crfiti- nisnie oni une coniiiiunaule d’origine ; qu’il faul en chercher la cause principale dans la consiilulion gfioiogiqiie du lerraiii, sous la surface du sol et non au-dessns ; qu’elle peut exercer son ac- lion nuisible en s’unissanl a I’cau, <i I’air el peul-elre aussi ci tons les produils de la lerre qui serveni h I’aliineiilalion ; que I’insalubrile des habilalions el les aulres mauvaises condilions hygi^niques ne soni que des causes secondaires qui peuvent en favoriscr le dcveloppemcnl, 11 esl lr6s a d^sirer que I’ou com¬ mence paiToul h ameliorer ces condilions auianl qu’il esl pos¬ sible. Cepcndant, dans les essais qui seronl eiilrepris, la pro- phylaxie devra toujours donner une imporlance beaiicoup plus grande aux moyens par les(|uels on a quelque espfirance d’at- leindre la cause direcie : lels sonl le croisement des races, la recherche el la coiiduile d’une bonne source, I’elablissenienl des cilernes, el I’usage de I’iode niele au sel ou aux boissons dans des proporlions conveiiables. Tons ceux qui coiicouiToiil li encou- rager, I'l exciler les populalions el les gouverneraenis dans I’em- ploi des moyens prophylacliques qui seronl juges pr6f6rables, feronl une chose digne d’eloges; la religion el I’humaniie y ap- plaudiront de concert; car la classe beaucoup trop nombreuse des personnes affligees de ces Iristes infirmitds esl digne de toute commisfiration.
Tellessont, monsieur le docteur, les observations que je me suis permis d’6crire ii la hate en lisant voire int^ressante leltre
52 iNODVELLES OBSERVATIONS
du 25 juili; je in’cmpressc tie vous les adresscr en vous renou- velnnt I’assuraiice ties seiitiinenis tlisiingues avec lesqtiels j’ai I’honneur d’etre, monsieur,
Votre Ires humble el obCissant serviteur,
I Aeexis Billiet, ArchevtMUu; tie (.liaitibery (I).
(I) Celle lelti'C de Mgr. I'arclicvcquc de Chaitibei) clOl naluicllemciil la discussion qui s’csl eicvee cnlre nous a propos de I’influcncc gtSolo- gique du sol sur la degenercscence crdlineuse. Toulefois, il m’a semhle que cclle quoslion du crdlinisme avail dcs rapporls si inlimes avec riiisloire generale des degcnercscences de I'espece liumainc, qucjc me suis propose de Irailer ce sujel dans un memoire special, dcsline A servir d’inlroduclion a ma correspondance avec le savanl archevequc. II esl arrive nAantnoins quc ce memoire a pris des proporlions si inal- tendues, que je dois me rdsoudre a le publicr cornme une oeuvre dis- lincle, loul en le rallachanl aux letlres de Mgr. Billiet, el aux iddes que nous partageons I’un el I’aulre. Je puis meme dire d’avance que mes principales rechcrclies seronl dirigdes sur I’dliologie du erdtinisme, te- moin mes etudes sur les fonctions physiologiques du corps thyroidien. D’un autre edtd, ddsireax enfin de faire de cette question spdeiale du crdlinisme une question d'un interet plus gdndral.ct sc reliant d’une maniere plus intime a I’dtude de I’anlhropologie, je me suis ddtermind A publicr une sdrie de planches qui reprdsenteront non-seulement des types de erdtins, mais encore des types d’etres ddgdndrds sous i’inlluence d’alTeclions spdciales du systeme nerveux. D' Morel.
FOLIE A DOUBLE FORME.
CUERISON PAR l’eMPLOI DU SULFATE DE QUININE,
H. LEGRAND DE SAELLE.
Diversob formes cle ddiire sc rciiiplaccm. se succedciit.
La Ij'pcinanie se compliqiie avec la manie.
(Esquiroi, 1. 1, p, 80.)
Madame M... a irenle-quatie ans; elle est de petite taille, d’un temperament lymphalique, d’une bonne saute habituelle. tlevee dans la devotion par tine m6re trte pieiise, elle a conserve depuis son mariage (il y a luiit ans de cela) des croyances reli - gieiiscs qu’elle met fidfelement en pratique et qu’clle enseigne h ses deux enfants.
Son caraetbre est bon, doux, affectueux; ses gouts sont sim¬ ples et son genre de vie modeste.
La menstruation a tonjours ete tres regulifire; la diiree du iluxmenstruel est ordinairement de sept a huit jours.
L’her6dit6 est tout a fait etrangere aux causes qui ont pu de¬ terminer la maladie de madame M... — II paraitrait qti’li I’d- poque de sa premiere communion , elle aurait cachd une faute a confesse, et que, depuis ceite epoque, elle est quelquefois tourmentee en s’arretant a I’idee que la damnation serait la peine de son sacrilege.
Le 25 janvier 1852, madame M... cnlre, comme pension- naire, 5 I'asile public d’alienes de la Cote-d’Or, en proic a une mfilancolie profonde ; sa paleur est cadavdrique, sa faiblesse trfes grande. Depuis trois jours, elle a refus6 de prendre des aliments substantiels ; elle a entendu une voix qui lui a dit : « Jeflne el
54 DE LA FOLIE A DOUBLE FORME.
lu seras pardonnfie; > ei, clcpuis ce moment, elle n’a acceptd
que quelqnes cuilleides de bouillon.
A peine est-elle entree dans la peiite infirmerie du pen.sion- nat de I'asile, et reconimandce d’une maniere loule spdciale aux soins dclairds de la soeur de. service, que niadame M... cherche it s’isoler, el que, se radiant derriere lesrideaux d’un lit, on la veil s’agenouiller, puis pleurer et sangloter,
Le lenclemain, a la visile du niddecin en chef, elle parait uu peu plus caline ; elle a inangd avec assez d’appelit, mais elle est visiblemenl tourmenlcc par cles iddes fixes ayaiil pour objet la religiositd; la mdmoire et raffeclivitd sont iniacles; il n’y a pas de tendance au suicide. Cet dial se continue pendant quatre jours, quand tout h coup, dans la nuitdu 29 au 30 Janvier, inadame M... se mil i) lenir lespropos les plus incohdrenls, a chanter, ii riro, a pousser des cris , ii aller remuer touies les malades dans leur lit, a casser lesob.ets (|ui lui lombaient sous les mains. Ca- misolde, conduile sur monordre.des la poinle du jour, au quarlier descelluh i h 2 M... nous preseule lous les signes d’un delire aigu, quand nous la voyons h la visile.
La veille au soir elle diait melancolique, obsddee par des iddes religieuses, ce maiin elle est maniaqne, jure et lempdte! Won chef de service prescril un bain de Irois heures avec affu¬ sions froides sur la tele, el une potion avec 0,02 d’aceiate de morphine.
31 Janvier. — La malade a rassd une unit fort agitee. Bain de quatre heures, potion avec 0,05 d’acelaie de morphine.
1" fevrier. — Quoique fort bruyanie, inadame M... n’avait pas la camisole , ii la verite, mais force a ete de la lui remettre, car elle a souffleld deux filles de service. Potion d’acdtate de morphine 0,07.
2, 3 fevrier. — La malade ne sort pas de sa cellule , taut elle est violente; elle est de plus fixde sur un grand fauteuil ad hoc. Elle prend des bains tres prolongds , et continue sa potion.
4 fdvrier. — Nous trouvons madame M... au lit, elle n’a pas
DE LA FOLIE A DOUBLE FORME. 65
voulu se lever. « Je suis bien raalade , dit-elle, je vais niourir, » faites venir mes etifaiils queje leiir donne nia benediction. » A ces mots, do grosses larraes vinrent niooiller ses paupieres, elle poussa de profonds soupirs, placa sa igte en I re ses deux mains, et ne repondit plus. La journfie fut calme, la malade se leva de son pleiti gre vers midi, el fit de la tapisserie pendant une beure.
5 fevrier. — Madame M... a file conduite^ I’heurede la visile au salon de travail ; c’esl la que nous la Irouvons. Sa phy.siono- mie est franclie et ouverte, ellesourit timidemenlquand on lui adressela parole, affirnie sc Irouver tres bien et n’avoir hesoin de l ien.
6 fevrier. — Caline parfait , raison tres saine, gait6. — Les regies out paru dans la nuit.
7, 11 I'fiviicr. — Notre malade est tout a fait metamorplio- see, elle est douce et prfivenanlo pour les dames de sa division, affectueuse envers les religieuses, pleine de respect et de sou- mission vis-ii-vis des medecins.
12 fevrier. — • Le llux menslruel s’est arrete ce matin.
lo, 15 fevrier. — Madame M. .. continue de bien aller, elle. fail en ce moment usage de pr6paraiions ferrugineuses.
16 fevrier. — 11 s’e.st opere tin grand cliangement depnis bier dans I’etat mental de notre inleressanie raalade, elle est fort Iriste, son facies exprime le trouble, rinquielude. « Que je suis » done malbeureuse, dit-elle, loullemonde me repousse!... Ob! )) je le vois bien, j’irai on enfer, car j’y ai reve pendanlla nuit !.. )i Mais non, je n’y ai pas rev6, je ne dorraais pas, mais j’ai vu des » inorts sonant deleurs cercueils... , j’ai enlendu les trompetics » dll jugeuient dernier, et c’estevidemmentpourmecondamner ij que le bon liieu envoie la fin du nionde aussilotquecela!... « l.es paroles les inieux senlies, les plus approprifies que mon obef de service oppose ii taut de divagations, ne pcuveijl sortir la malade de son fiiatd’abatteraent et de decouregement.
17, 21 fevrier. — Madame M... est anssi profondement mfi-
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DE JLA FOLIE A DOUBLE FORME.
lancolique qu’ti I’epoque de son entree dans la maison; elle mange pen, dort h peine, se refuse a prendre tout medicament de peur qu’on ne I’empoisonne, et est en proie a de frcquentes hallucinations de la vue et de I’ouie. Elle se souinet avec la plus grande diflicultdaux affusions froidessurla t6te, pousse des cris per?ants et appelle au secours quand la sceur vient la chercher pour la conduire au bain.
22 fdvrier. — Madame M. .. cause 5 la visite avec unc grande volubilitd; elle accompagne ses paroles de gesteset d’eclats de rires. Dans la soiree la trouvant dans un violent 6tat d’excita- tion, je la Cs conduire aux cellules.
22, 28 fdvrier. — Nous somraes de nouveau en prdsence d’un accfis de manie ti es aigu que nous essayons de com- ballre par les bains prolongds, les affusions froides et unc potion opiacee.
1“ mars. — L’agilalion tend a decroitre.
2 mars. — Madame M... est caline, les facultds de I’intelli- gence paraissent un peu depriindes, les forces .sont prostrfics.
3 mars. — La malade est deja reraise, elle est au salon et oc- cupde k un petit travail de broderie. Mon chef de service pres- crit0,20depoudredesulfatede quinine a prendre en deuxdoses.
U, 5 mars. — Madame M... est tout a fait revenue a son dtat
rmal de saute.
6, 12 mars. — La malade a dtd mensirude pendant toute la semaine, elle continue a aller ties bien. Le sulfate de quinine a dtd continud ; la dose en a dtd dlevde jusqii’h 0,60.
Lesjournees des 13, Id et 15 mars se passent trds bien, mais lei 6 madame M.. . estdevenue triste et morose. Elles’est plainte d’un peu de cdphalalgie pendant quatre ou cinq jours, puis au moment redouie pour la pdriode d’excilation, la malade n’a prdsentd qu’un peu d’aiiimalion dans le regard, et a prouoned une fois seulement quelques paroles incisives et radchantes sur un ton trds dlevd.
La tnenslruation a suivi son cours habituel.
DE LA FOLIE A DOUBLE FORME. 57
10 avril. — Le sulfate de quinine donton a continue I’usage, et dontla nialade a pris jusqu’S 2 grammes par jour, vient d’etre supprimfi.
Pendant les mois d’avril el de mai , aucuii accident n’a re- paru, el la convalescence s’est bien assise.
Les ^poques auxquelles se dSveloppaient les accfes de mfilan ■ colie et de raanie sont pass6es inapercues. Dans ces derniers temps madanie M... a vu souventson mari etses enfants; Tiin- pression de ces visiles lui 6lait IrSs profitable ; elles lui faisaient oublier le passii, la reudaientgaie el Joyeuse pour le present et la p6n6lraient de confiance dans I’avenir.
Dans un etat complet de guerison, et que nous savons ne s’fitre pas dementi depuis, madame M... quilte I’asile public d’ali6n6s de la Cote-d’Or le .'ll mai 1852.
Reflexions. — Les fails consignes dans celte observation sont, dans leurs plus minutieux details, d’une exactitude rigoureuse ; ils sont ires complets, et j’ose croire qu’ils sont peul-etre de nature a corroborer les ingenieuses recherches d’un ali6niste c616bre sur celle importante question de la folie 5 double forme.
A une autre epoque, J’avais mis pour litre a celte observa¬ tion : Alternative de melancolie et de manie ; c’est ainsi qu’ti rimitation des auteurs, je caracterLsais la maladie de ma- damc M. . .
J’avais lu dans Esquirol differenls passages qui me p6ne- traient de la faciliteavec laquelle un alien6 pouvait passer d’une forme de delire a une autre ; je me souviens des deuxsuivants :
« La remission, dans quelquescas, n’est que le passage d’unc .) forme de delire a une autre forme; ainsi uii aliene passe trois » mois dans ialypdmanie, les trois moissuivants dans la manie, » enfln, quatre mois, plus ou moins, dans la ddmcnce, et ainsi » successivemenl , tantot d’une maniere r^gulifere, tanlot avec n de grandes variations. » (Tome 1", pages 78 et 79). « 11 n’est » pas rare de voir la manie alterner, et d’une mani6re Iris
58 DE LA FOLIE A DOUBLE FOKME.
» rSguliere, aver, la phtliisie , I'hypochondrie , la lyp6nianie. » (Tome II, page 1701.)
Lorsque j’ai eu connaissance par la vole des journaux de nie- decine, de rinleressaiile comrauiiicaiion faite a I’Acadeinie par M. Baillarger, sur uii genre de folie dite a double forme, et d’un travail publie par RI. Falret sur une variete d’ali^naiion menlale qu’il appelait folie circulaire, je me suis souvenu de mon ancienne malade de I’asile de Dijon, el en exliuniant son observation demon portefeuille, j’ai reconnu tout de suite que madamc M... avail c'l6 alleinte de folie a double forme, ct non pas de folie circulaire, car si mes souvenirs me sont fideles, M. Baillarger, dans les acces intermiltents de folie ii double forme, considere irois periodes bien dislincles : l“La depression ; 2“ I’excitation ; 3“ I’intermitlence (et c’est pr6cis6ment ce que j’ai a meme d’observer chez madame W...), tandis que M. Falret, dans la folie circulaire, fail bien alierner la manie et la m61ancolie, mais place I’intermittence enlre I’apparition de chacune d’elles,
Ai-je pu commelireune ei reur du diagnoslic et rapporter !» la folie h double forme, les differenls caraclferes d’un seul et meme genre? Cela n’est pas po.ssible : discutons les fails.
Madame M..., lorsqu’elle enlre a I’asile, n’apris depuis Irois joursque quelques cuillereesde bouillon, parce qu’elle a eiilendu une voix qui liii a dit : « Jeune el tu seras pardonnde. » Elle s’isole, se met a genoux, pleure sur la fame qu’elle croit avoir comraise, et olfre en un mot a considerer les phenomfenes mor- bides les plus babiluels de la melancolie. La duree de ce pre¬ mier acces est de sept jours, lorsque par I’effet d’une transition tenement brusque qu’elle n’a pas 6l6 appreciable, madame M... devient tout ii coup maniaque, car c’est bien & la manie qu’il faut rapporter les propos incoh6rents, les blasphemes, les cris, les vociferations, les gestes insolites, les voies de fait enfin aux- quelles sc livre la malade.
Cette pfiriode d’et^citation est courle; au boulde cinq ousix
DE LA FOLIE A DOUBLE FORME. 59
jours, elle disparait pour faire place h une iiitermittence de onze jours, peiidaul lesquels madauie M... se Irouve dans I’filat physique, intelleciuel et normal le plus salisfaisanl. La inens- iruation senible avoir profile, pour s’accomplir, de cet inler- valle de calme el de raison.
C’est pendant le silence de la nuit que nous avons vu nia- darae W..., de m61ancolique devenir maniaque; c’est encore pendant la nuit que noire inalade passe subilement de I’inter- inittence ii la in6lancolie. Nous la Irouvons loute bouleversCe & la visile, elle n’a pas dorini, elle a vu des niorls sorlir de leurs ccrcueils, elle a eniendu les trompettes du jugement dernier, et si Dieu envoie de si bonne hcure la fin du monde, c’est pour lui faire expier plus lot le sacrilege qu’elle a coinmis.
Pour celle fois, I’accfis de m^lancolie dure six jours, puis survient la periode d’excitalion pendant toute une semaine, et enfin I’inlermillence se nianifesle; c’esl encore dans cet instant favorable qu’apparaissent les regies.
Menlionnons en passant cette phrase d’Esquirol : L’epoque » des retours mensiruols est toujours un temps orageux pour » les femmes alifin^es, nifime pour cedes dpnl les menstrues ne » sont point d6rang6es. » (Tome I, page 70.)
Pour le cas particulier qui nous occupe, je suis en contra¬ diction avec noire grand maitre, car chez madame M. .., I’appa- rilion du flux menstruel est toujours pr6cedee, accoinpagnfie el suivie du plus grand calme et d’acles ti es raisonnables.
Jusqu’au 5 mars, jour ou madame M... enlre resolument dans la periode d’inlermiitence, quelle est la medication qui a et6 employee ? les bains prolonges , les nlfusions froides sur la l§le, une potion avec une dose l^gere d’acfiiate de morphine.
Un peu plus lard, afin decombalire une certaine decoloration du facies, les preparations ferrugineuses out eie tentees, puis I’opium a eie aussi adminislr6 dans une periode d’excitation. Tous ces agents therapeutiques ayanl 6choue, il fallut chercher ailleurs.
DE LA FOLIE A DOUBLE FOllME.
Le sulfate cle quinine prescrif, le 3 mars, ii la dose de 0,20 a el6 continue sans interruption jusqu’au 10 avril; ce jour-ia, il a 6t6 supprim^, la malade 6tant arrivfie progressivement it en prendre deux grammes !
Un riisultat immense, inattendu , je dois I’avouer, cst venu tout de suite confirmer refficacitfi du sulfate de quinine employe dans un pared cas : la malade gucrit.
L’epoque redout6e pour I’invasion de la m61ancolie arrive, madame M... est seulement un peu plus triste que les jours pr6cedents, mais ne dfiraisonne uullement et n’a plus d’hallu- cinations.
Elle se plaint de douleurs cephalalgiques pendant quatre ou cinq jours.
Quelle est la cause de cette cephalalgie? Peut-etre bien I’em- ploi du sulfate de quinine, car il n’est pas rare de voir des maux de lete occasionnds par I’usage de cet agent antipdriodique et fdbrifuge.
A la mdlancolie devait succdder la pdriode d’excitalion , la manie. Wais cette fois encore, le mal est conjurd. II y a bien un peu d’animation dans le regard , et la malade a bien adressd quelques mots blessants S une personne qu’ellc entourait habi- tuellement de sa plus haute estime, mais ce image disparait bientot et va se perdre dans les souvenirs ddjii eloignds d’mi etat maladif qui n’est plus.
Comment le sulfate de quinine , cc spdcifique connu de la fievre intermittente, comment, dis-je, le sulfate de quinine, qui bien manifestement a opdrd la gudrisou de madame M. .., a-t-il agi aussi spdcifiquement sur des accds intermittents de folie a double forme? Quel a did le secret de samerveilleuse influence? Je laissc cette question & rdsoudre ^ plus habile.
ETUDE
SDR
LE SUICIDE CHEZ LES ENFANTS,
H. LE MAX. DDRAND-FARDEL ,
Mdileein inspecleur lies sources il’Hauterive a Vicliy, etc.
Sur 25,760 suicides, observes en France de 1835 a 18A&, 192 ont eu lieu avant I’Age de seize ans, c’est-ii-dire 1 sur 134, ou bien encore 19 par an (1).
Ce nombre parait consid^rable ; I’idee du suicide est si peu compatible avec celle de I’enfance, qu’on se resigne difficile- ment it voir, daus leur rapprochement, autre chose qu’une monstrueuse exception. Nous pensons cependant que I’^tude des fails do ce genre ne paraitrapasdenuAed’inldret et d’utilit6.
S’il est difficile d’agir direclenient sur cette funeste propen¬ sion qui transforme en un arrfit de mort, un chagrin, un dfoir inassouvi, une simple contrariety, au moins peut-on supposer qu’en en supprimant quelques occasions, on en pourra sauver quelques viclimes. Ne peut-on surtout l’esp6rer au sujet de ce nombre plus restreint, quoique si affligeant encore, de suicides, h un age oO I’existence, bien moins livree que dans le reste de sa carriyre, aux vicissitudes sans nombre de la vie, subit plus aisement I’influence du milieu artificiel dont il est permis de Ten tourer?
Nous raconterons d’abord quelques-uns des fails qui sont Venus A notre connaissance ; nous essaierons ensuite d’en lirer d’utiles enseignements.
(1) Comptes cjiniranx de la justice criminelle en France.
62
£TDDE SDR RE SUICIDE
Les Comptes fjenh'aux de la justice criminelle, auxqnels nous avons empruiite la siatislique precedente, ne fournissent pas d’autres renseigncinenis, et nous laissent ignorer comment se dislribuent,dans celle periode anierieure a la seizieme aiin^e, ces cas noinbreux de suicide.
Nous avons l euni nous-meme 26 exeraples d’enfants suicidds, ayanl de 5 a 14 ans.
1 avail 5 ans; 2, 9 ans; 2, 10 ans; 5, 11 ans; 7, 12 ans; 7, 13 ans; 2, 14 ans.
Le sexe de 24 d’eiitre eux est indiqu6 : il y avail 17 gai'fons et 7 filies.
Sur 22 enfanls, 10 ont peri par submersion, 10 se sont pen- dus, et 2 (12 et 13 ans)se sont brfll6 la cervelle. Toutes les filies se sont noyees. Un garcon de 1 1 aus, avaiit de se jeler 4 I'eau, avail essaye de se laisser mourir de faim.
Sur ces 26 enfants, 5 ont 6choue dans leur tentative, 3 Giles et 2 garfons.
Parmi ceux-ci, une femme, citee par Esquirol, qui s’6tait jetee dans la riviere a neuf ans, s’y esljeteede nouveau 4 qua- rante, el M. Falret rai)porie I’histoire d’une femme, atteinte d’une melancolie suicide qui avail commence d6s rSge de douze ans (1) ; une autre, sujetle a des acces de folie et qui s’etrangla a quaranle-cinq ans, avail, depuis I’age de dix ans, clierch6 plu- sieurs fois a se detruire. « Je connais dans ce moment, raconte Gall, une demoiselle irfes instruite el tres bien filevee, qui deja, a I’age de quatre ou six ans, qnand ses pbre et mere I’enfer- maient pour la punir, avail concu I’envie de se detruire. File attend toujours lamort. fiire aimee ou avoir des amis lui parait un grand mallieur , puisque sa mort prochaine la separerait bienlol d’eux (2). » On voit, par ces exemplcs, que, quel que soil le temps ecould depuis une premiere tentative de suicide, il faul toujours craindre qu’elle ne se reproduise plus lard.
(1) Falret, De I'Injpochondrie et clit suicide, 1822.
(2) Gall, Sur les fonciions du cerveau, etc., J825, t. IV, p. 338.
CHEZ LES ENFANTS.
6S
G(! c(ui frappe le plus, dans la plupart de ces histoires, c’est la futility des motifs qui semblent avoir poussfi ces malheureux en- fanls au suicide. Sans dome on a fait souvent une remarque seinblable >i d’autres epoques de la vie; mais les adnltes ou les vieillards qui se tuent pour une v6lille, out pat-devers eux loule une existence oCi rnn pent alier chercber une cause plus reelle a cct aclc de desespoir. Du reste tout cst relaiif, et I’on sail k quel point lesenfants soul parfois emus des spectacles aux- quels ils a.ssislent ou des traitements auxqueis ils sent soumis.
Les Comptes gineraux de la justice criminelle pour 18/i3 parlenl d’un garcon de neuf ans qui s’est tue de chagrin d’avoir perdu un oi.seau qu’il aimait. M. Falret pos.sede Tobservation d’un enfant de douze ans qui se pendit de depit de n’etre que le douzieme dans sa classe. D’autres fois leur motif esl plus s6- rieux.
Un enfant de quatorze ans, apprenti cordonnier,d’une intel¬ ligence ordinaire, d’un caracterc un peu bizarre, fut accusd d’avoir vole un petit filet qu’un de ses camarades avail lendu pour prendre des oiseaux. Reclamations inutiles ; menaces de faire niettre en prison ledeiinquantqiii nie le fait. 11 continue S iravailler pendant irois ou quaire jours, saiis faire part de ses craintes ni de son fatal projet. Le h juillet 1825, il fait tons ses repas a la mai.son, il se couche, et le lendemain de bonne heure, on le trouve dans les champs, pendu a la branche d’un pommier. La branche avail fiechi, les pieds posaient sur le sol, le corps etait incline, el la petite corde dont il s’etait servi cassa avant que la justice flit arrivee sur les lieux (1).
Une femme du people, reduite & la misere, ayanl un enfant de onze ans qui demeurait avec elle, ordonna un jour a cet en¬ fant de faire lout ce qu’elle prescrirait, el de ne sortir de la chambre que le lendemain matin. Puis elle ferma la chambre en dedans, enleva toutes les fournitures de son lit, se coucha
(I) Gazauvielh, Du suicide, etc.,' 1840, p. 31.
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£tude sur le suicide
sur le fond sangle, s’altacha les deux jambes et se fit altacher Ics deux bras par sou enfant. Alors elle lui ordonna de la couvrir de ses malelas, de sesdraps, deses couverlures, et demettre par dessus tout ce qu’elle possedait en hardes, en meubles, jusqu’ii des pots de fleurs ; I’enfant ob6it. Au bout d’une demi-heure, il entendit sa mere soupircr; il s’approclia du lit et lui demanda si elle voulaitquelqiie chose; mais elle le rudoyadu geste etde la voix. L’enfant effraye, se retira ; une heure apres, il n’entendit plus rien. Il resta jusqu’au lenderaain sans sortir, assis centre la pnrte, suivant I’ordre qu’il avait recu ; puis, desesp(5r6, n’ayant plus de mere, il alia se noyer (1).
Nous avons lu dans un journal I’histoire d’une jeune fille de treize ans, qui s’dlait noy6e de chagrin d’avoir perdu sa soeur (2).
Dans la plupart des cas ou la cause du suicide des enfants cst indiqu4e, on Yoit que e’est a la suile de punitions, de rdpri- mandes, de mauvais traitements, qu’ils se sont donne la mort. Nous reviendrons sur ces faits en etudiant I’influence de I’fidu- calion sur le suicide. Ils m6ritent une attention parliculiere : ils prouvent combieii il faut tenir compte, plus eju’en ne le fait cn gendral , de la susceptibilite et de la sensibilite des enfants. Ils donneront a refldchir surtout a ceux qui comprendront que la rarete mgme de ce rdsultat, le suicide, nous donne la raesure de I'influence fatale que certaines circonslances doivent exercer sur I’existence entiere de malheureux enfants. Void quelques- unes de ces histoircs :
Un enfant de treize ans, le jeune Laurent, de la commune de Locelle, arrondissement deCoulommicrs, fils unique de parents aises, done d’un caractere vif, fut rdprimande et frappe par son pdre. Le lendemain matin , il alia \oir ses camarades et leur dit : j’ai etd frappd par mon pere, il ne recommencera plus, je vais me jeter a I’eau. Ses camarades s’amusferent d’une telle rdso-
(1) Dictionnaire des sciences midicales, art. Suicide.
(2) Journal le Dimanche, du 3 juin 1847.
(:he2 lgs enfants.
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luiion, la prenaiit pour uiie plaisanterie. Il s’61oigiie d’eux ; I’heure de I’dcole appelle tous les enfanls du village ; le jeune Laurent , au lieu de s’y rendre , inarche en sens oppose, s’ap- proche du Grand-Morin et s’y pr^cipite. Apr6s vingt-qualre heures de recherches, il fut relir6 de I’eau (1).
Un rentier de la rue des Grands-Degres avail, avani d’en- treprendre un court voyags, recommandd a Marie-Louise , sa fille, ilg6e de onze ans, de mieux travailler qu’elle ne le faisait habituellement. Pour exciter son amour-propre, il lui avail promis une recompense si la l5che qu’il lui imposait etait rem- plie, et I’avait menacee d’uiie severe reprimande dans le cas contraire. La pauvre enfant voyantle letour prochain de son pfere, sans espoirde lui domier la satisfaction qu’il attendait, en confut unvif chagrin, etdes ce moment, elle ne pensa plusqu’k mourir.
Elle quitla done le toil pateriiel le matin de bonne heure, et se dirigea vers le quai Saint-Bernard . LS, elle rencontra un roisin ct ami de son pere qui lui demanda oil elle allait. Fairc une commission , reprit-elle ; et bienlot on lui vit prendre une direction oppos6c it celle qu’elle devait suivre. Tout a coup, elle s’^lanca dans la riviere; la profondeur de I’eau 6tait peu considerable dans cet endroit. La malhenrense enfant, d6jk en partie submerg&e, eut encore le courage de se relever, pour aller se noyer plus avant dans la Seine. Des ouvriers, accourus aux cris des spectateurs, la saisirent au moment ou elle allait disparaitre sous un bateau (2).
On 6crit de Magdebourg, 17 octobre 185A, que ravanl-veille, dans la soiree, on avail amen6 au bureau de police de celte ville un petit garcon ag6 de cinq ans, le fils d’un vitrier, que Ton venait de retirer de I’Elbe, dans lequel il s’elait precipite, a cause des mauvais traitemenls dont sa mbre I’accablait (3).
(1) Le Droit, du 13 juillet 1836.
(2) Gazette des iribunaux, du 28 juillet 1836.
(3) Annales medico-psncliologiqu.es, octobre 186i, p. 675, extrail de la NottveUe Gazette de Prusse, Monileur umoersel,^! octobre 1854.
xNNAt.. MEn.-p.svi:ii. 2'' serie, t. vii. .tanvier 1855. 5. 5
66 fiTUDE SDR LE SUICIDE
Les suicides des enfants se font presque toujours remarquer par leur caractiire de sang-froid et de pr^m^ditatioin 11 est certain qu’a\ant I’age de la pubertfij qui seul change les en¬ fants en hommes, I’id^e de la mort ne s’accompagne pas eilcore de ce sentiment d’horreur qui souvent, plus tard, suffit pour preserver du suicide. Jusqu’a un certain age, les enfants ne comprennent pas la mort ; plus tard, ils ne la sentent pas encore. Nous avons vu mourir bien des enfants assez grands pour com- prendre qu’ils allaient quitter la vie ; mais nous ne nous rap- pelons pas avoir jamais saisi chez eux aucune expression de terreur ou de d^sespoir.
Nous venons de voir une petite fille de onze ans se jeter & I’eau deux fois de suite : voici I’histoire d’un garfon de douze ans qui n’a pas fait preuve de moins de force et de volontfi dans I’acGomplissement de son suicide.
Le 7 mars 1836, la m6re de Henri Fournier, enfant de douze ans, I’envoya chercher la montre de son pere; I’enfant cassaje ressort. Pour le punir, on le fit monter danssa chambre avec un morceau de pain sec; il pouvait elre alors six heures du soir. Avanl de se coucheri, a dix heures, Fournier envoya sa petite fille, 3gae de huit ans, pour voir si son frfere dormait : elle en- tr’ouvrit la porte de la chambre, faiblement eclairee, puis vint dire que sou frere reposait. Le lendemain matin a six heures , une femme entra dans la chambre de Henri pour le rdveiller, et le trouva pendu.
A un fort clou enfonc^ dans le mur, 6tait attach6e une cra- vafe a carreaux, jointe elle-m6me a une autre cravate de sole noirfe-qui faisait le tour du cou , passant par-dessous le menton pour aller, a la partie posterieure de la tfite, former un noeud coolant qui exer^it un serrenvent considerable autour du cou. La longueur des deux cravates, formant corde, 6tait de 60 cen¬ timetres du col de I’enfant au clou. Au-dessous de ses pieds, le sol se trouvait elev6 d’environ 12 centimetres, au moyen d’une planche placde sur une grosse pierre; a c6t6 de ces objets se
CHEZ LES ENFANTS.
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ti'ouvail un pelit tabouret renverse, dont I’eiifant s’fiiait sans doute servi pour attacher la cravate au clou, Le cadavre avail le dos toui-ne du c6t6 de la muraille, la tele penchee sur la.poitrine, les janibes flechies, les genoux & 12 ceutiinelreR de la planche qui exhaussait le sol , et sur laquelie posaien^ ses /Jierfs.
Tous les teinolgiiages se soiit accordes pour rappeier I’intelc ligence et la geulillesse de cet enfant dans ses jeux avec ses cauiarades; il ne se plaignait pas de mauvais iraitements : cepenr danl il disait que s’il y avail un coup a recevoir de son jtbrei il 6tait pour lui et jamais pour sa soeur, ii laquelle on passait lout : du reste, ses parents avaient de grands soins pour lui et I’en- voyaieiit i I’^cole (1).
L’observalioii suivante offre quelque chose de mystfirieux et d’inexplicable. S’agii-il d’une de ces impulsions sponlanifies, ir^i- resistibles, que Ton a designees du nom de monomaiiie suicide ? Est-ce unexemple a ajouter aceux que nous fournit I’influenoe de rimilation sur la production du suicide ? C’est ce qu’il est difficile de decider.
Le 5 juillet 1836, le nommd Ricard , cultivateurli Stains, arroiidissement de Saint-Denis, 6lant a iravailler aux champs avec sa femme et son fils Benjamin ag6 de onze ans , dit h cet enfant d’aller dans une pi6ce voisine , cueillir des ceilses pour leur dejeuner. Au lieu d’aller ou sou pbre I’envoyalt, le jeune Ricard revient ii leur domicile, a Stains. La il trouve a la porte de la maison sa sceur agde de qualorze ans, ii laquelle il dil qu’il venait chercher une bouleille de boisson pour Son pere; celle;ci lui apprend qu’elle vient de casser la clef dans la serrUre, et qu’elle ne sait comment on pourra ouvrir la porte. Alors Ricard prend une dchelle, monte dans la cliambre de son pfere dout la crolsee elait reside ouverte, descend ouvrir A sa soeur une croisee du rez-de-chaussee, tire une bouteille de boisson, referme ensuite cette fendlre en dedans, et redescend A I’aide
(1) H. Bayard, Archives ginirales de midecine, g’seriei 1. XI, p. 10).
fiTUDE SDR LE SUICIDE
de r^chelle. Il part avec la bouteille, disant ii sa soeur qui s’cii allait travailler d’un autre c6t(S , qu’il retournait porlei' la bois- son son p6re ct a sa in^re.
Mais il parait qu’aussilol sa sceur filoignee , le jeune Ricard revinl i la maison, et ficrivit avec du charbon sur les contre- venls du rez-de-cbauss6e les mots suivants : « 6 sadieu de Fran¬ cois Benjamin Ricard, qui s’cst pendu atacher au rido de sa m^re. » Il est vraisemblable qu’il rcmonta ensuiteparlafen€tre dans la maison, en meltant lespieds sur les conlrevents, car on remarqua I’impression de ses souliers sur le raur.
Vers midi , la belle-mfere de Ricard revient des champs : elle voit sur les contrcvents des caractferes auxquels elle ne fail pas grande attention, car elle ne salt pas lire, mais apr^s Stre mon- l6e dans la maison par la fenfiire, elle remarque de distance en distance, sur les murs, des croix iracees au charbon, ainsi que dans I’escalier qui m6ue a la chambre a coucher, ou elle Irouve Ricard pendu it unc corde, attachfie a la traverse superieure de I’alcove du lit.
Le mairede la commune et le docteur Rode, appel6s aussildt, se transportferent sur les lieux, et constatereut Texactitude des details qui pr6c6denl; en outre, ils remarqu^rent en face du lit une bouteille plac6e entre deux pelites tasses a cafe conlenant de I’eau benite. Cette bouteille , dans laquelie on conservait I’eau lustrale, fitait ordinairement dans le cellier. Ainsi Ricard avail du I’apporter dans la chambre. De plus il avail quitte ses vSlcments de travail pour mettreson habit des dinianches.. .
Il rdsulte de renseignements recueillis sur Ricard qiie cet en¬ fant etaitd’un natureltres paresseux; qu’il se refusaitsouvent a travailler ; plusieurs fois son p6re s’6lait apercu qu’il lui dArobaii de rargenl. Quant a la phrase 6crite sur les conlrevents , on a constaifi, par I’examen des cahiers du jcunc Ricard, que son fieri - lurefitait identique, pour I'orthographe etla forme des leltres, avec les caractfires iracfis au charbon snr les conlrevents.
« Vingt-huit jours auparavant, ajoule Ollivier d’Angers,
0Hb2 LES tWANTS.
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le 7 juiii, j’avais ele charge par M, le procureur du roi d’aller a Stains ouvrir le corps de I’oncle du jeune Ricard, lequel s’6tail pendu aprfes un copieux dejeuner. Get homme s’enivrait tr6s frequerament. Avaiit de se pendre, il avail trace avec la pointe de son conteau Iroiscroix sur le inur au-devantduquel son corps fut trouv6 suspendu ; h ses pieds 6lait une bouleille conlenant de I’eau b6nite. N’y a-t-il ici qu’une simple coincidence ? Le •genre de inort de I’oncle a-t-il comme cause dfilermiiiante, Stranger li celui de la mort du ueveu ? Le suicide de cut enfant est-il un example de I’influence de I’imilation? Plusieurs des circonslances qui out precede I’exficution de cet acte, inconce- vable de la part d’un si jeune enfant, mesemblenl appuyer cette opinion (1). »
II s’esl passe, il y a quelques annees, dans rarrondissemenlde Montargis, un double dvenement, toutaussi inexplicable, el par cela mfiine inleressant a rapprocher de rhisloire qui precede. Bien que nous n’ayous pas die charge des constalaiions oliicielles, nous avons pu recueillir nous-memes les renseignements qu’on va lire , et nous pouvons , par consequent , en garantir 1’ exac¬ titude.
Un enfant de onze ans et demi, nomine Pierre Ghaumeron, demeurait chez ses parents, cultivaleurs aisds , dans la com¬ mune de Gironne. Get enfant, d’uncaractere gai et de faculids bien ddveloppdes, dtait trds aimd de ses parents, qui I’dlevaienl doucement , et n’avaient qu’un autre petit gargon de dix mois. Le 2 juillet 1847, landis que son pdre et sa mere rentraient du sainfoin, lui-meme faisait de I’herbe, dans une piece voisine, avec deux enfants de son Sge. Au bout de deux heures de tra¬ vail, pendant lesquelles il futgai comme a Tordinalre, tons trois rentrdrent chez eux. Ses deux camarades, dont la demeure prdce- dailla sienne, lequitterenten lui disaut qu’ils allaient le repreu- dre, en passant, chez lui, pour alter ramasser dubois plus loin.
(I) Ollivier d’Angers, Amales d’liyg. el de mid. lig,, 1. XVI, p. 400.
70 ETUDE SUR LE SUICIDE
Un quart d’heurB s’fitait ii peine 6coul6, qO’en effet ils repas- sererit devant la maison de Chaumeron : ne le voyaiit pas, et lout en I’appelant, its reniarqu^renl tjue la potte de la vwee 6tait erttr’ouverte , el, peilsant qu’il ivait pris les devants, its passfe- rent outre. Arrives it nne certainc dislat'.ce, ils cntendenl des cris d0rri6re eux et reviennent snr leurs pas.. . Cependatll, la mfere du petit Chaumeron venait de rentrer : elle cherche son fils, Tappelle, pousse la porte de la viniie, sent nn obstacle qiii ' la retient, entre et trouve le corps de son fils debout contre le mur voisin. — II faisait obscur, elle lui deniande s’il est gen6, s’approche, et s’apercoit qu’il est pendu a nne corde, attach^e h un clou enfonc6 dans le niur de la vin6e. On accourut aux cris de cette femme , niais I’enfant ne clonnaitplus signe de vie. II fut impossible de d^couvrir ancune circonstance pi’opre it rendre compte d’une telle re.solution. L’enfant n’avait 6prouvd aOcune contrariety apparente : on n’avait , jusqu’au dernier moment, remarqiie auenn changeraent dans sa maniere d’etre. On .s’assura qu’il n’avait point d’habitudes vicieuses, de precocity de temp6raracnt... Les causes de ce suicide demeurbrent done un myslere absolu.
Un enfant de la meme commune, mais habitant un hameau different, camaradedu petit Chaumeron, Francois Perron, Sge de quatorze ans et deflii, avail accompagne au cinietiere le corps de Chaumeron, comme enfant de choeur. Pendant la ceremo- nie , on I’avait entendu dire : II faudra que je me pende aussi, et I’on n’avait fait que rire de ce propos. Le 6 juille.t, e’est-h- dire quatre jours api-es la mort dc son petit camarade. Perron venait de quitter ses parents depuis Un quart d’heure. Son pere veut lui parler, le cherche, et au boutde quelques instants, le trouve dans sa vihee, pendu h un clou, a I’aide d’une corde qu’il venait de ramasser dans un baquet vide. L’enfant etait mort : la corde, passee sur le col de sa chemise, n'avait laisse snr le cou qu’une empreinte tres superficielle.
Les parents de Cet enfant etaienl aussi des cultivateurs Rises ;
CHliZ LES ENFANTS.
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celui-ci etait d’une intelligence moyenne. II ii’a pas plus possible de d6couvrir chez lui que chez Chaumeron, auctilie explication plausible d’uhe resolution anssi extraordinaire. Seu- lement corame dans I’histoire que nous avons rapport4e toiit S I’heure, d’aprfes Ollivier d'Angers, il semble s’dtre attache it re- produire, dans son suicide, les mfiraes circonstances qui avaient accompagne le suicide dont son imagination sansdoute avail ete frappee.
Parmi ces histoires, ilenestun certain nombre qui semblent echapperii toute interpretation. Instinct d’imitation, perversion du jugeinent, enfaiitillage, il est difficile de penetrer I’ordre etrange d’idees auxquolles une partie de ces enfanis ont ob6i. Mais dans d’autres circonstances, nous savons quelle a et6 la cause determinaute du suicide, et nous devons en profiter. Ge n’est nieme pas sous le rapport exclusif du suicide, que ces fails nous offrcnt de precieuses lecons ; le cercle de leur appre¬ ciation doit s’eiargir pour liouS, et si nous prenons pour theme des observations qui vont suivre, V education, nous nesortirons pasj de noire sujet, nous ne ferons que I’envisager ason veri¬ table point de vue.
A quelque epoque de la vie d’un homme que Ton se trans- porte, quelques peripeties que Ton rencontre dans son exis¬ tence, il est bien rare que Ton n’y trouve empreinte la marque de son education ; ce mot education pris dans le sens le plus large : education des circonstances, education de la famille ou de I’ecole, education nalurelle. education arlificielle. Les exi¬ gences et les inegaliles des conditions sociales reduisentla plu- part des homines a la premiere. Combien, pouvant offriraieurs enfants les bienfaits de la secoude, les leur refusent, par indiffe¬ rence ou par aveuglement!
La part de ce que Ton pent appeler redMcaffon naturelle^ c’est-h-dire I’influence que I’organisation et les circonstances exierieures et leur reaction mutuelle sont appeiees a exercer sur la vie entiere d’un individu est infinie, mais aveugle. In-
72 firUDE SUH LE SUICIDE
fluence de I’ordre social, des moeurs el dcs lois religieuses , influence de I’h^r^dit^, des maladies, des habitudes, etc., cercle immense dans Jequel se d^bat la multitude, livr§e sans r&is- tance a toutes ces tyrannies centre lesquelles ce n’est pastropde loute I’intelligence etde toute la vertu permises & Thomme pour lutter avec succ^s ; il serait trop long de passer seulenient en revue ce que leur histoire nous ofTrirait de relatif au suicide.
Mais nous nous arreterons quelques instants sur cette Educa¬ tion qui, bonne ou mauvaise, comme ii esl de bonnes et de mau- vaises nourrices, permel ti ceux qui en ont la charge, de facon- uer en un sens quelconque I’organisnlion morale et physique des enfants, de leur continuer la nourrilure maternelle, de prEparer leur avenir, de mEriter enfm leur amour ou leur haine, si jamais un jour devait leur rEvEler le poids donl ils auraient pesE sur leur destiiiEe.
Si Ton a quelquefois reflEchi k la multipliciiE des causes du suicide, it leur solidaritE mutuelle dans sa prEparation ou dans son accomplissement, on ne peul mEconnaltre le role immense que doit y prendre I’Education.
ll est deux Epoques dans la part que I'Educalion peul prendre a la destinEe d’un individu.
Une Epoque actuelle, el une a venir, c’est-ii-dii e que I’Edu- caiion exerce sur Texislence une action immEdiale el une action EloignEe.
Pendant toute la duree de I’enfance, et ce temps varie sui- vant les individus, le monde est la famille, I’horizon esl au seuil de la maison ; les passions, les chagrins et les joies se concentrent autour du foyer, et la vie passioniielle, comme la vie inatE- rielle, s’aliraente pour se developper, dans le cercle restreint des affections domesliques. L’Ecole transporle ailleurs la scEiie ou se dErouleni les vicissitudes de I’enfance , mais sans I’Etendre davantage.
C’est la que, sur un etroit thEatre, I’enfant, dEjJi prEparE par sa propre organisation, par le sang qui I’a nourri , par le lait
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qu’il a suce, genue et ddveloppe tons les vices el loules les ver- tus dont plus tard les fruits mflriront pour le monde.
C’esl sur le d6veloppeineiU de la vie passioniielle et affective, d6s cette 6poque de la vie , que nous vouloiis appeler un instant I’attention.
C’est une erreur commune de ne voir, dans I’dducalion du premier 3ge , qu'une affaire de discipline et de mdmoire. Le principc dont I’enseigoeinent inuluel offre le type m^canique, se retrouve mfime au sein des Educations privees les plus atten- tives. Tandis qu’aucun effort ne coule pour aider au dEveloppe- inent du corps et d’une intelligence naissante, on oublie qu’un enfant est un etre sensible, douE de rEpulsion et d’entrainement, que, pour diffErer dans leur objet el leur manifestation , les affections de renfanl le plus jeune ne sont pas moins rEelles que celles de I’homme fait, qu’elles trouvent aussi bien que les siennes dans les circonstances qui les environnent, des enlraine- ments pour les prEcipiter, des obstacles pour les briser, faibles sans doule en coniparaison de ce qu’elles seront un jour, mais puissanles pour le frEIe corps (|u’elles animent.
J’ai vu, dit saint Augustin, un enfant euvieux, jaloux; il ne savait encore prononcer aucune parole, et avec un visage pale, des yeux irritEs , il regardail dEjii un autre enfant qui telait avec lui.
On rit souvent des pleurs el de la colEre des enfanls, et, parce qu’ilsne savent lesretenir, on suppose qu’ils ne ressentent rien de plus que ce qu’ils out manifestE ; sans faire attention que, soit crainle, soit impuissance, pour ne s’exprimer que par des larmes, les Emotions qu’ils ressentent n’en doivent exercer que des ravages plus profonds sur leurs fragiles organisations.
Aussi est-ce un Ecueil dangereux, que le degrE et le modede sEvErilE dontil convient d’user h I’Egard des jeunesenfants. Le degrE de sEvErite et le mode de correction, auxquels on donne taut de place dans I’Education, ne dEpendent pas moins sou¬ vent du caractEre et des propensions particuliEres de celui qui
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elfeve, que du degrc de docilite ou de compi’6heusion de I’eii- faiii elev6. Mais combien de fois prend-on la peine, pour cfe choix, d’fitudier les facultds affecliTes de ce dernierj le d6vc- loppcmciit naiurel on acquis d^ja de la sensibility, de la fierty, dc la timidity, de I’esprit dc i-yvolte, de rancutie, de dycourage- ment, de dysespoir, etc. ?
Ges pauvres peliles Sines ne savent pas plus disCcrnei’ en elles-mgmes, que les autres n’y savent lire, ce qu’elles ressen^ tent aux coups qui les atteignent, aux blessures qu’on leurfait. Que de douleurs seerStes, sans doute, que de larines non com¬ prises, que de reflexions poigiiantes et peut-Stre draniatiques, dans ces imaginations naissantes, n’ayant encoi’e rien S sentir, S comprendre, a espyrer, S craindre an dela de ce petit univers ou les retieiu rignorance de la vie ! L’enfance a son courage et sa resignation, coniine aucun autre Sge peut-6tre. IMeine d’ex- pansion pour I’amour, la joie, les plaisirs, c’esl-a-dire le libre exercice des sens, elle retient I’expression de la efainte, de I’etonnenient, de la doiileur et de la rypiilsion. Beaucoup d’entre nous peuvent retrouver, dans I’obscurity de leurs premieres annSes, de ces impressions loiniaines et douloureuses qui leur aident & comprendre ce qui se passe dans ces tendres natures. Quelquefois m6me nous parvenons a en saisir rexpression au passage.
Je n’oublierai jamais ce que je vais raconter. — ,Je doiiriais a uhe enfant de cinq ans uiie lecon, une enfant d’un caractere doux, craintif, affectueux, d’une intelligence ordinaire, d’une parfaite santy quoique ti-es impres.sionnable, elevge aVec ten- dresse, mais avec une syvyrit6 un peu correctionnelle. Despleurs sans sujet, line apparence d’inaltention avaient impatiente le inailre, qui donna a I’eiyve qiielques coups de rggle sur les doigts... AussitOt i’eiifant, fermant ses petits poiiigs, se ffappa la figure de dgsespoiiV. . Je fis alors de la morale, et Je relrani- ebai la regie des lefOris ; mais je ne puis dire quelle impression profonde fit sur moi ce petit episode, dont la nature presentait un
CHEZ LE& EMFANTS.
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contraste frappant avec le caractfere de I’enfant. Je n’ai jamais song6, sans me sentir iiavr6, h ceqai devaitse passer danscelte jeune imagination qui n’avait pour plainte, pour justificatioil, pour resistance que des larmes.
Nous arons cite plusieurs exemples d’enfants suicidfis par crainte ou par regret de reprimandes ou de corrections. Nous avons fait remarquer en mfime temps que telle etait la cause la plus commune do suicide dans le jeune age. Que signifie cela ? Que la crainte, I’amour-propre, le decourageme'nl, une irrita- latiou mfirae passagSre, peuvenl avoir les m6raes i-esultats chez les enfants quo chez les grandes pefsonnes ; que la vie affective des enfants se concentre presque uniquement dans les rapports, soit d’affeclion, soil d’auioritd, qui les unissent a leurs parents. Sans doule ils ne se luenl pas encore par amour, par aviditd,
par ambition . Wais ils se luent, comme les soldats anglais
qui out subi les verges, comme les subordonnes que leurs sop§- rieurs ont outrages, comme les natures tendres qui se heur- tent auxbrutalitdsde la vie, comme les antes impdrieuses qui ne supportent pas les ddceptions. ....
Oubliez done, vous qui avez charge d’dducation, ces vaines fictions qui veuleni transformer les natures enfautines en un moule uniforme, semblablement ouvert a des impressions sem- blables, ou en une cire mollequi doive subir fatalemenl la forme que vous lui imprimerez. La nature n’attend pas, comme les fees, que I’enfant soit venu au monde pour le douer : comme il nait avec lous ses organes, il nait avec loutes ses facultes. Avez- vous jamais saisi I’heure oh il devenait sensible, ingratou recon- naissant, conliant ou craintif? Sans doute I’expression, comme I’occasion, ne survienl li ses affections, comme a ses sells, qn’aU jour le jour. Mais il apporte en n'aissant tous ses germes. '
Nous trouvons dans les Comptes generaux que, dnrant I’es- pace de neuf ans, de 1836 it 18/i4, il y a eu en France, 132 sui¬ cides (88 de gar^ons et Ul\ de Biles), attribues it des enfants mai- (raiteS ou grondis pat leuts parents. Ce cliiffre doit Sire it peu
filUDE SUB IE bUlCl
pres exact, le suicide, cbez les enfanls, ayaiit presque toujoujrs une cause manifeste, et irexigeanl pas en general ces causes multiples et £loign4es qu’il reconnail ci d’autres dges.
Les observations particuli^res nous montrent que ces suicides se renconlrent dans toutes les classes de la societd. En effet, les enfants sont partout les mSmes, et la dilTerence de condition n’a pas encore eu le temps d’operer, dans la partie affective et pas- sionnelle de leur organisation , d'aussi grands changements qu’k un age plus avance. Dans les chaumieres, chez les artisans comme dans les colleges, on trouve des enfants qui ne peuvent supporter I’absence de tendresse, la brutality, I’injustice.
J’engage le lecteur ii mediter I’histoire suivante, intitulfie par W. Falret : Melancolie avec penchant au suicide, produite pat' une education vicieuse.
Un jeune enfant de onze ans, dont les parents n’ont jamais eprouv6 d’alidnation mentale, ties gai , aimant beaucoup les plaisirs de son %e, neglige un de ses devoirs, et donne pour raison que, r6cerament arrive de vacances.il n’a pas encore repris I’habilude du travail. Lc maitre lui inflige une punition en lui donnant quelques coups ; I'enfant s’obstiue a ne pas faire son devoir; le maitre redouble et les coupset les punilions. L’enfant devient triste, eprouve de violents raaux de l6le, dort mal ; il forme le projet d’attenter a ses jours, et refuse de man¬ ger. Aprcs deux jours, ce moyen lui ayant paru trop tardif, il ajourne son projet et commence a prendre la nourriture. Pen¬ dant I’annee, celte idee prend de la fixilfi, il cberche continuel- lement h se trouvcr seui , dans I’espdrance de pouvoir accomplir son dessein. Une fois, a la promenade, il s’^chappe, court ii la rivifere pour s’y pr6cipiler, mais il en est empfich^. EiiQii , les vacances arrivent; I’enfant retourne. au sein de sa famille; son pere le gronde vivement el lc menace de le faire travailler a la lerre, s’il ne change de conduite. Ce reproche, de la part d’un p6re qui ne I’avait jamais puni injustement,rafflige beaucoup. Les id6es de suicide se reveillent ; mais les douces consolations
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d’une infere ch6rie, les visiles qu’il rend et qu’il recoil distraient son esprit , en procurant une heureuse diversion ; cependant la gail6 ne revient pas. A .son relour au college, il est confiA ^ un nouveau maftre, qui n’eniploie, pour faire travailler ses el6ves, que les moyens de la douceur et de la persuasion. L’en- fanl commence & prendre goflt pour le ti avail , I’idSe de suicide se dissipe, sans qu’il reprenne son ancien caractfire. A la flu de I’annSe, il oblient un prix ; ses parents lui font un accueil favo¬ rable. Cependant il reste sombre, tacilurne, 6vite de se trouver dans des reunions nombreuses. Les ann6es suivantes, il conti¬ nue de se livrer a I’filude des langues et des belles-lettres avec succ6s. Quelqucs efforts qu’il ait fails depuis pour reprendre la gait6 de sa premiere enfance, quoique §g6 de irente ans, il est ordinairement mAlancolique et tellcmenl impressionnable que, lorsque le temps est sombre, lorsqu’il 6prouve la plus 16g6re conlrari6le, il est obligS de marcher beaucoup ou de visiter ses amis pour dissiper son Kedium vitce; mais une bonne §du- caliou , forlifi(5e par une religion 6clair6e , I’empSche mfime d’avoir I’id^e de se suicider (1).
II suffit d’avoir un peu approche les enfanis, soil dans le moude, soil dans les 6tablissements d’ Education , pour s’fitre apercu qu’il en est auprhs desquels telle manifere d’etre, telles habitudes provoqueut une rdpulsion insurmontable. Il est des eufaiUs dont on ne peut rien tirer avec de la brusquerie, de la secheresse: quelques-uns sont surtout sensibles a I’injustice, et le sens des eniants s’y irompe raremeni. Mais presque toujours aussi I’amitie , la tendresse, requite ont , sur ces jeunes orga¬ nisations, un empire egal i la repugnance qu’exciteut en eux les apparences coniraires.
Sans doute pour beaucoup, natures froides ou mediocres, le choix est indiliereut. Mais si le hasard , I’esprit de systdme ou I’ineptie metleiU une organisation impressionnable aux prises
■ (1) Ealret, De I’hypochoiulrie el dit suicide, p. 314.
78 ETUDE SUE LE SUICIDE
avec le regime qui lui est aulipatbiqiie, tant pis pour sa vie tout
emigre.
Un bieu petit nombi e d’enfauts poussent le dfisespoir jusqu’aU suicide : non que le courage leur doive nianquer; ils nous out donn6, nous le savons aiaintenant , irop d’exemples de sang¬ froid et de decision; mais c’est que rid6e de la niort vient ra- rement a cet age. L’esprit qui la concoit a peine ne songe gufere a lui rien demander.
Mais n’est-il pas une autre sorte de suicide, plus funeste Cent fois que celui qui tranche a jamais une existence nouvelle en ¬ core? Les enfants chez qui une Education contraire, grossiCre ou raffinCe, a d^veloppe une fois cet esprit de rfisistance, qui est leur seule protestation contre I’aveugle autoritC qui les gon- verne, ces enfants sent presque toujours perdus pour I’avenir qui leur Ctait destine. Soil que leur intelligence s’arrfite dans ses progres, soil plus souvent qu’elle prenne une direction vi- cieuse, tous les instincts de la faiblesse opprimCe se dCveloppent chez eux aux d^pens des qualites genereuses, et ils nous pre¬ parent cesexemples, dont nous sommes environn&, d’existences inutiles ou nuisibles, qu’un guide plus intelligent eut fait servir au contraire au bOnheur ou a la gloire de la socidte.
Je m’arrgte ici : je devais montrer seulement par quel vice special I’education pouvait conduire les enfants au suicide, et bien plus souvent encore compromettre leur avenir tout enlier, en ne tenant aucun conapte de leurs facultes all'ectives, en bles- sant leur sensibility, en heurtant lenrs passions, en oubliant enfin que c’est des I’enfance et non plus tard que se deve- loppent les facultys qui devront mflrir dans le cours de la vie,
Nous n’insisterons pas davantage sur I’influence mCdiate que I’education peut exercer sur les diverses periodes de I’existence, eu ygard au suicide : c’est it I’histoire tout enlidre du suicide qu’il faut demander quelle sera cette influence, tutyiaire ou fu¬ neste. Si les principes religieux, I’honnetety de la vie, la mode¬ ration dans les dCsirs, I’araour du travail, etc., ou bien les
CHEl LES ENFANTS.
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qualites contraires sont appel^s a jouer un role dans Ja disposi¬ tion ou la determination an suicide, il est 6vident qu’5Tedu- cation remoutera 1^ part d’iflfluen^e , negative ou positive, qu’elle aura exerede eile-irieiiie sur le dlveloppement de ces memes qualites.
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DU SOMMBH.
DU SOIMEIIIIEIL
ENVISAGE
AU POINT DE VUE PSYCHOLOGIQUE .
RAPPORT FAIT A L’ACADEMIE DBS SCIENCES MORALES ET POLITIQUES AU NOM DE LA SECTION DE PHILOSOPfllE ,
Par M. liEEilJT ,
SUft LE CONCOORS REEATIF A CETTE QUESTION.
L’Acad^inie , sur la proposition de sa section de philosopliie, avait , en 1851 , mis an concours la question du Sommeil envi¬ sage au point de vue psychologique.
Le programme 6tait le suivant :
n Quelles soni les facult6s de I’Sme qui subsistent, on sont suspeiulues ou considorablement modifiees dans le sommeil?
» Quelle difference essentielle y a-t-il entre rever el penser?
>> Les concurrents coraprendront dans leurs reclierches le somnainbulisrae et ses differentes espece.s.
u Dans le somnambulisme naturel, y a-t-il conscience et identite personneile?
» Le somnambulisme artificiel esl-il un fail?
» Si e’est un fait, I’etudier et ledecrire dans ses phenomenes les nioins contestables, reconnaitre celles de nos facultes qui y sont engagees, et essayer de donner de cet etat de Tame une iheorie selon les regies d’une saine methode philosophique. »
Les termes de ce programme ne laissaient aucun doute sur la nature des recherches que demandait I’Acatiemie, el sur les limites dans lesquelles ellevoulait circouscrire la question.
AU POINT DE VUE PSYCHOLOGIQUI; . 81
II s’agissait d’abord d’dludier dans scs principaux details, et d’approfondir dans scs plus importanis problfimes, le sommeil envisage an point de vue psycliologique, le seul qui pitisse intf- ressor la philosopbie.
II s’agissait ensuite dc rapprocher du sommeil, non pas seu- lement le somnambulisine nalurel, qu’il n’est pas possible d’en s6parer, mais tous les autrcs genres de somnambulisme, et jus- qu’a celui que Ton qualifie d’artificiel.
11 s’agissait enfin de recherclier quel est, dans toutes ces si¬ tuations, I’dtat de I’aine ; ce que devient, dans ces formes mys- tfirieuses de la vie, chacune de nos faculies , et quelles soot ii ce point de vue les dilI6rences qui separent le sommeil de la veille.
Sept memoires ont 6te adressfis ii I’Academie, trJ's di(T6rents ■par leur point de vue, leurs conclusions, leur valeur (1).
. Le m^moire n“ 3 est divis6 en deux parties.
La premiere est consacree au sommeil et au somnambulisme sponlands, e'est-a-dire naturels.
La seconde traite du sommeil et du somnambulisme aiTifi- ciels ou magnfiliques.
II ne faut chercher ni dans I’une ni dans I’antre, nous I’avons d§ja laissc entrevoir, la discussion r^ellement philosopbique des grandes questions secondaires qu’impliquentles deux questions gfinfirales du sommeil et du somnambulisme ; I’auteur a confu
(1) Nouscroyon.s devoir nous borner a reproduirc la partie du rap¬ port qui concerne ceux des mdmoires (ou certains passages des mi- moires] qui ont pius particulierement Qid I’altention de ia commission, ot motive de la part du savant rapporteur des reflexions donl nos lecteurs apprecieront le haul interet.
En consequence, nous ne ferons point mention du Jugement porie sur divers memoires, et donl I’cxpose n'iniercsse recllement que ceux aux- qnels le rapport est adresse. [Woie du ridaclew.'i
ANs,M.. vitn.-vsvr.ii. ?'serie, I. vii. Janvier isri.s. C K
82 DU SOMMEIL
et iraiLe son sujet aulremenl, de clesseiii preragdite eten pleine connaissance de cause.
Son ineinoire est avant tout un recueil de fails, de fails sou- vent inleressanis, pris particulierement dans les auteurs anglais et aliemands qui out ti aite, a tons les points de vue, du somnieil el du somuambulisnie. A ces fails, a ceux surlout quiont pour objetla lucidil(5 magnfitique, rauleur eu a joint beaucoup d’au- Ircs lires de sa proprc experience.
Sur ces fails, qui out I’airde coiisliluer presque tout le me- nioire, I’auleur a potirlant foiide uii sysleine des plus determines, des plus suivis, nellenieiit el francheinent rfisuine dans les obser¬ vations et les conclusions ([m le terniinenl. Ce systeme estle sui- vant, qu’on n’accusera pasde peclier pardefaul de spirilualisme.
L’ame liumaine est lellemenl disiiiicle et indepeiidanie du corps auquel elle est unie, elle lui est lellement superieure, qu’ellepeut tout sentir, lout penser, lout voir, prevoir, sc rap- peler, sans lui, bien inieux qu’avec lui, pourvu qu’elle conserve ce corps spiriluel doni parle saint Paul, et dont, en effet, elle ne sera jamais separf'C.
Ces pouvoirs, elle les a souvent dans I’elat meme le plus r6- gulier devcille; de noinbreux exemples sont Ih pour en temoi- gner; elle les a souvent encore dans le sommeil et dans une foule de rfives bien reellemenl spirituels, ou n’interviennent en rien les organes, et dont elle a seule I’initialive et la conduite ; elle les a dans le somnanibulisme nalurel ; elle les a enlin et sur¬ lout daus le sommeil et le somnambulisme artificiels ou ma- gn6tiques.
C’est en vain qu’on chercberait a expliquer les fails du som¬ nambulisme nalurel lui-meme par un resle ou un redoublement de Taction des sens exlerieurs. Les sens ne sont pour rien dans ce qu’on a appele les merveilles de ce somnambulisme. La merveille, dans ces pbenomenes, c’est Tame elle-meme. Tame seule, Tame qui sent et perfoit ind6pendamment de toule assis¬ tance corpcrelle organique.
AU POINT I)E VOE PSTGHOLOGIQUE, 83
Or, ce qui a lieu dans le somnainbulisme naiurel, a lieu de meme, et ii plus forte raison, dans le somnambulisme niagnd- tique, dont I’origineest encore bien plus exclusivemenl spiri- tuelle, puisqu’il est le rfisullat de I’actioii d’une volontd etran- gbre, d’un esprit sur un autre esprit.
L’ame, un moment d6barrass6e de ses voiles corporels, y saisit avec la memesurele les fails du pass§, du present, del’avenir; elle prend connaissance des pensfies et des d6sirs des autres ames et de I’^tat des corps auxquels elles sont unies ; elle prend connaissance des plus lointains^v^nementsdu monde, deslieux ou ils s’accomplissent, des acteurs qui y sont ingles.
Dans le sommeil, dans les rSves et leurs diverses cspbces, dans le somnambulisme el toutes ses varietes, non-seulement il y a rehausseinent (c’est le .mot qu’emploie I’auteur) des faqullfo ordinaires de I’ame , mais il y a addition de nouvelles facultfis, les faculies de clairvoyance, bien plus de prgvoyance, de retro¬ spection. G’est la ce que I’auteur appelle une thdorie de ceseials de rSme suivanl les regies d’une saine raethode philosophique et le programme de I’Acadfimie. Et celie theorie, selon lui, est non-seulement philosophique; elle est encore, et par-dessus lout, essentiellement chretienne. En vertu de cette theorie, tous ces fails rdcents de clairvoyance durant le sommeil et le som- nambulisrae out pour analogues et pour garants les fails anciens et sacrgs de clairvoyance hypnologique rapportgs dans les deux Testaments. Ainsi se trouve ramenee h un seul et mSme type cette nature humaine, ou plutbt celte nature de Tame qui, de nos jours, est aussi indfipeudante des organes et aussi clair- voyante qu’en ces temps de pnrete et de clairvoyance primi¬ tives. Ainsi se trouvent affirrades, avec plus de force et de cer¬ titude que jamais, sa siinplicite et son immortalite. Ainsi se trouvent places, sous I’ggide des saintes traditions, les faits les plus siuguliers, mais les plus fdconds, de la science dont elle est I’objet.
Malgrg tout ce qu’offre d’exlraordinaire celte doctrine psy-
DU SOMMEir,
chologique du m6moiren° 3, il y aurait quelque injustice a con- fondre ce travail avec la pUipart de ceux ou il est question du somnambulisme niagnStique ; ni I'esprit, ni le but, ni mfiuie les moyens n’y sont les ni6nies.
L’auteur, malgrfi sa foi au niagnfitisnie, est loin de faire de sa pratique une profession, ni memo une occupation. Ilest, avons- nous dit, un 6lranger, un Anglais, s’exprimant au moins avec clarte dans notre langue, et faisant preuve, en pbysiologie sur- tout, de connaissances assez 6tendues. JCn fait de somnainbu- lisme magnf'tique, il a beaucoup vii ou cru voir, beaucoup lu surtout, beaucoup recueilli. Mais sur le snjet ni6me du con- cours, il est loin de n’avoir vu et de n’avoir etudi6 que cela. Son memoire est un vaste et curieux repertoire de faits rela- tifs aux diverses sortes de sommeil et de somnambulisme, qu’on ne trouverait pas reunis ailleurs. De longs extraits d’opinions, d’expfiriences, de theories, appartenant a des ecrivains surtout Strangers, uiiissent et ordonncnt entre eiix ces divers genres de faits. Au milieu de tout cet ensemble un pen fantastique, re- gnent une chaleur et une elevation d’esprit, un air de sinceritS et de bonne foi, qui peuvent bien ne pas convaincre, mais qui intSressent et attachent.
C’est dans de telles idSes et de tels sentiments, en faisant usage de tels materiaux, que I’auteur a compose son mSmoire, dans le but surtout de rSpondre a la partie du programme qui a trait a la rSalitS du somnambulisme artificiel. Si les choses qu’il croit avoir vues dans des experiences et des observations personnelles, qui composent la partie la plus importante de son travail avaient elles-m^mes la rfialito et les caracieres qu’il leur attribue, ce serait avec raison qu’il croirait avoir rf'solu, ,par raflQrmativc, cette question de votre programme, et montrfi que le somnambulisme artificiel est tellement bien unfait, que dans cet etat, on pent sans le .secours de la vue, voir a travers toutes les fipaisseurs et tons les obstacles de la matifu-e, ou li des dis¬ tances sans limites,
AO POINT DE VUE PSYCHOtOGIQUE. 85
Nous n’avous pas besoin cle dire que nous ne partageons eii lien la conviclion de I’auteur du memoire n“ 3. 11 y a pour nous plus d’une raison do penser qu’il n’a pas vu lout ce qu’il a cru voir. A cole du chapilre, par exeraple, ou il affirme avoir die idinoin de laiit de prodiges somnanibuliques, il y en a un autre ou il affirme egaleinent, a propos de ce qu’il appelle le phreno- magnMsme, qn un inagiieiiseur pent, en dirigeant sa pensee et sa volonle vers tels ou tels organes phrenologiques du sujet ma¬ gnetise, mettre isolement en action un ou plusieurs de ces or¬ ganes, ou des faculles qui leur correspondent, action qui se iraduit immedialement par I’expression de la physionomie.
Lorsqu’en fait de somnambuHsme magndtique, on a pu voir et affirmer une telle chose, il est clair que, sur le mdmc sujet, il n’y en a aucune autre pour laquelle on ne soil capable d’en faire autant, et cela de la meilleure foi du inonde .
. L’auleur du memoire u” k esl un inedecin de I’ecole de
Montpellier ; il ne le dirait pas qu’on s’en apercevrait dds les pre- midres lignes, ne fui-ce qu’aux expressions dont il se sert pour caracleriser le sommeil.
Pour lui, comme pour les physiologistes qu’il proclame ses mailrcs et dont il ne fait que ddvelopper les principes, le som¬ meil, el plus particulierement le sommeil avec reves, est un dtat uspondhnatiquc de I’economie humaine, c’est-a-dire une sorle de treve ou de separation des deux puissances immalerielles, qui, dans les doctrines vilalisles, animentle corps, la force vitale et le sens intime ou I’amc ; une rupture inomenlanee de I’al- liance el du bon accord qui les unissent dans I’etat de veille.
Cette rupture esl lout it ravaniage de la puissance vitale, qui agil en souveraine et presque sans controle, imposant ii I'aine ses impressions el ses fanlaisies, mais en meme temps profitant de son empire de quelques lieures pour imprimer aux fonclions qui dependent d’elle plusde regularity et de vigueur. et donnei'
DU SOMMEIL
ainsi a I’Ame qui repiend son pouvoir an reveil, un corps res- iaur6 el dispos.
Wais si Tame a le dessous dans le somnieil, dans le sommeil ordinaire avec reves, en revanche, dans toules les especes de somnambulismc, elle reprend ses droits, on plulot elle les de- passe et en abuse. Toutesces facultesque I’auteur enumfere an nombre de seize, toules, y compris la liberte et la volont6, y sonl non-seulement conservees, mais elles y acquierent plusde puissance et s’y acconipagnent de nouvelles faculty,
Mais c’est surtout dans le soinnainbulisine arlificiel ou soni- nambulisme raagn6lique que I’auie acquierlles nouvcaux pou- voirs dont il esi dfija question dans I’analyse du mfimoire pre¬ cedent, et auxquels celui-ci fait une part encore plus grande.
D’apres I’auteur du memoire n« U, il n’y a rien qui echappe a Tame dans I’etat de soinnambulisme magnetique, rien a quoi elle ne puisse atteindre, rien a quoi ne puissent servir ses nou¬ velles faculles et les actes qui en decoulent.
L’ame d’abord s’y voit elle-meme ainsi que le corps qu’elle habile ; I’un et I’autre dans leiirs dernieres profondeurs et dans leur plus secrete destinee.
Elle lit de raeme dans Tame et le corpsdu prochain.
Elle voit, sans le secours des yeux, & travers les corps les plus denses ou b des distances auxquelles pourrait seul atteindre I’oeil de la Providence.
Elle va dans le passS prendre connaissance des ev6neinents les plus recules et dont elle n’avait rien appris dans I’etat de veille.
Elle prevoit de meme et avec la mfiine certitude des ev^ne- inents qui sent encore enveloppfis dans les tenfebres de I’avenir.
On doit voir, par Ih, lout ce qu’il y a de puissance et lout ce qu’il peut y avoir d’utilite dans le soinnambulisme artificiel, ou dans leiuagn6tisme qui le produii.
Par lui les maladies les plus graves et les plus cachbes pour- ronl eire reconnues, trait^es et gueries.
AU POINT DE VCE PSYCHOEOGIQUE. 87
Par lui les crimes pourront etre prevus, pr6venus, d6cou- verts el punis.
L’^ducation aiissi trouvePa en lui un puissant auxiliaire; car il est possible au magnetiseur de fixer par sa volonle, dans I’es- prit du naagnetise revenu a I’^lalde veille, des facultes additioii- nelles developpees par I'eiatde soinnanibulisine .
. Le memoire ii" 7 pout inspirer quelque cslime, non pas
unlquement parce que rauteur, un mfidecin, isolc, coinnie il nous I’apprend, en province, dans la pratique de sa profession, a lravaill6 loin des grandes sources et des grands moyens de re- cherches, niais encore parce qu’il a emis avec clart6, sur les points principaux de la question, des opinions qui, malgre une exposition et une expression incorapletes et faibles, rencontrenl souvent la v6rit6.
Apres etre entr6 sur le sonimeil et les reves, sur leurs carac- Iferes gfinfiraux et leurs causes, dans des details pliysiologiques presque inutiles, en ce sens qu’ils n’ont k pen prfes rien de relatif ii la nature mSme du r6ve, a sa nature psycbologique, I’au- teur divise les rfives en reves sensitifs, rgves alTectifs, rSves psy- chiques. C’est encore la une inutilite au point de vue du pro¬ gramme, nous dlrions presque a tous les points de vue.
Que les rgves aient leur point de dfipart, et leur occasion, du reste plus ou moins certaine, dans lesmouvemenlsspontandsdb cerveau, dans les mouvements iiUimes des sens externes, ceux des viscferes inl6rieurs, et meme ceux de la pens6e, au fond leur nature reste la meme ; el c’est d’elle seule que les concur¬ rents avaient il s’occuper.
Nous ferons la m6me rcmarque a propos du chapitre que I’auteur ajug6 convenable do consacrer aux rfives morbides, et en particulier aux differentes formes du cauchemar. Qu’est-ce que devient I’esprit dans ces r^ves ? qu’est-ce que deviennent ses facultfis ? C’est lit tout ce qu’il fallait recherclier et dire. A plus forte raison, ne fallait-il pas, soil ii propos des rmes morbides
DU SOMMEIL
ou sym'ptoinatiques dcs muladies, soil a propos des diverscs formes du cauchemar, elablir des indications ihcrapeuli- ques ii coup sur lout a fait en dfhors de ce que demandait I’Academie.
Apres avoir Iraite du sonimeil et des rCves, I’auteur du me- nioire n" 7 traite du soninainbulisme naturcl, et toujours en physiologisle et meme en medecin. Des fails, des observations parliculieres, comnie on dit dans la science medicale, une des¬ cription en quelque sortc symplomatologiquc du somnanibu- lisine, la recherche doses causes, soil occasionnelles, soil orga- niques, enfin I’indicalion des reniedes propres ii Ic guerir, pour pen qu’il prenne la forme d’une raaladie , voilii ce quecontient Ic chapilre du memoire n" 7 consacre au somnambubsnie na- lurel. II ne s’y trouve done presque rien de ce que deman- daient la nature du sujet el le programme de I’Acad^raie.
Le long chapitrequi suit traite du soranarabulisme artificiel ou magnfitique, etl’on y relroiive la mSme erreur dans la con¬ ception du sujet et dans la maniere de le discuter.
Toulefois il est juste de le dire d’abord, a la defense de I’au- leur, il n’a aborde cette panic de son travail que sur la provo¬ cation de notre programme. 11 no s’y ful pas decide delui seul. L’exemi)le el les opinions d’un certain nombre d’hommes re- marquables ou illustres, parmi lesquels il cite Talleyrand, Cu¬ vier, Arago, n’eussent pas sulfi a I’y engager et a vaincre sa repugnance. I'our le determiner it braver, Ini medecin, I’ana- ihfeme de 1’ Academic de medecinc, qui iraite mainlenant le ma- gn6lisme animal comrae I’Academie des sciences la quadrature du cercle, il ne lui fallait rien moins que la question proposde par I’Academie dcs sciences morales et poliiiques. C’est sur notre invitation qu’il s’esl mis it I’cEuvre, et a consacre it cette panic du sujet 100 pages de son mdmoirc, les deux cinquiemes it peu pres.
Lomagnelisme animal acluel, dit I’auteur du memoire iT 7, consisle dans une sorle d’influence it la fois physique et morale
AU POINT Oli VUE PSYCHOLOGIQUE. 89
de rhoinmc sur riiomine par la puissance de la volonte. Cette influence, celte action est incontestable. Elle a presque certai- nement pour agent un Iluide qu’on peut appeler nerveux. Elle produitdes ellets physiologiques et des elTets psychologiques.
En fait d’elTets physiologiques, elle peut provoquer le som- ineil, faire naitre des convulsions, neutraliser la douleur.
iMais ce sont surtout ses diets psychologiques qui doivent fitrc pris en consideration; et c’est ici, dil I’auteur, qu’on entredans le monde des nierveilles.
Ce monde nicrveilleux du somnainbulisme inagnetique, il le reduit, iil’instar du vrai monde, a quatre parties, qui sont, sui- vant lui, bien suffisantes : la transmission de la pensoe, la vue k travels les corps opaques ou a des distances illimitees, la pressensation organique, enfin la prdvision de I’avenir.
Pour admeitre I’existence de ces quatre parties du monde soinnainbulique, il se fonde de pres ou de loin sur des autorites de diverses sorles, autorites quelquefois trfcs hautcs, et dont quelques-unes seraient bien surprises de riionneurquileur est fait. Il lui a bien fallu, a cet egard, s’en rapporier a des temoi- gnages etrangers ; car, dit-il, et il a I’air de se decharger ainsi d'une respoiisabilite qui lui pese, il n’a pas pu faire d’experience par lui-meme. Il I’a tente, iiiais il n’a pas reussi. Surement, ajoute-t--il, qu’tV nest pas done decetle foirobuste qui truns- porte les montagnes; et lorsquil s’agitdetels p/wnomenes, on nepeut vraiment rien af firmer qu’ apres avoir vu, maintes fois vu, de sespropres yeux vu.
k la suite de ces longs preliminaires sur le sommeil en ge¬ neral, les rCves, le somnainbulisme, soit spontane, soil magne- tique, I’nuteur aborde enfm les deux grandes questions posees par I’Academie sur les facultes de I’amc et le rGve.
Ses repoiiscs manquent, avant tout, de developpement, et pourtant, dans lour brievciG, dies sont encore trop longues ; car dies renferment d’une part des considerations inutiles, d’autre part des assertions fausses.
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DU SOMMEIL
L’auleur a cru devoir faire prec6cler ces r6ponses d'une espbce de resume de psychologic, d’une sorte de catalogue raisonne des facultes intellectuelles, et cette partie de son mdnioire annonce uii esprit assez neuf dans ces malieres. II empruntea droite el a gauche, a des philosophes de toule opinion et de toute ecole, el ne parvienl a faire de ses emprunts qu’une sorte de marquclerie ou il ne se relrouve pas toujours. II cut mieux fail de s’aban- doniier a ses idees personnelles ; son propre sens refit mieux servi, car quelquefois encore il ne le sort pas mal .
MfiMOlRE N” 2.
. Dans I’elude du sommeil, envisag6 au point dc vue le
plus slrictenieut psychologique, il y a toujours une part a faire a celle de ses conditions corporelles. Il fauty rechercher riiiflueiice qu’exerce sur Tame et son sommeil ce nouvel etalqui constitue le sommeil du corps, les relations nouvclles qui peuvent en con¬ sequence s’etablir cutre le corps el I’ame, la vie el la pensee. Il u’y a pas de philosophe, pour peu qu’il ait tcnie de penelrer cesmysteres denotre vie, qui n’ail reconnu cette necessite, el n’en ait fait une des conditions de ses reflexions ou de ses re- cherches.
L’aule.ur du memoire 11“ 2, non content de se conformer a cette necessity, s’y prfite avec un empressement qui I’emporte au delh du but. Il commence, en ellet, par ou il n’etait pas lenu de commencer ; a propos des relations particulieres et momen- lauees de Tame et du corps dans le sommeil, il croit devoir trai¬ tor de leurs relations generales et habituelles, des rapports, en d’autres termes, de la physiologie et de la psychologic. Et cette iutroduclion, d’ailleurs inutile, est de telle nature qu’elle sert plutot it obscurcir qu’a eclairer les abords du sujet.
L’insuflSsance de I’aqleur dans la question des rapports de rSme et du corps pendant le sommeil devient encore plus sail- lante par I’assurance avec laquelle il parle de ces malieres, trail-
AU POINT DE VUE PSYCHOLOGIQUE. 91
chant les questions les moins. familiSres a son esprit, attaquant el jugeantdu ingme air les hoinmes les plus competenls parmi ceuxqui les out abordfies avant lui.
L’auteur esl pinsheureux dans ce qu’il dit des rfives et dans les resultals gbneraux que lui a doiines cello filude. II y a dans celte partie de son travail des considerations ingenieuses , quelquefois solides, qui pr6parenl utilenient ce qui va suivre. Toulefois il s’y infile encore plus d’une erreur ou plus d’une inexactitude. L’autcur n’a pas asscz eludie le des reves, soil sur lui-ineme, soil dans les nombreuses observations qui en existent. Il se perd dans des explications, des aflirnialions , des denfigalions que lui eussent cpargneesquelques-uns de ces fails bien connus et bien appr6cies.
Toulefois, inalgrbces defaiils, on sent dans cetle panic meme du ineinoire n" 2 une certaine force d’examen el de discussion qui, mieux dirigee a la fois et plus conlenue, eut donn6 lieu, nous le croyons, ^ de bien ineilleurs resullats.
Aprbs CCS cbapitres preparaloires sur le sommeil et les rfives, I’auteur du ineinoire n° 2, entrant serieusemenl en inaticre, arrive aux questions qui forinent le fond de son travail cotnine dies forinent le fond du prograniine.
L’etal de I’anie et de ses facultes dans le sommeil se determine par comparaison avec ce meme etat dans la veille, 6tat dont la delerminalion forme un des objets les plus graves de la psycho¬ logic.
Rien de plus utile assureraent, et a certains egards de plus necessaire pour la determination de I’etat des facultes de I’anic dans le sommeil, que de panic de la classification la ineilleure et la plus exactede ses facultes dans I’etat de veille. Toulefois, si en fait de pouvoirs de I’ame on aclmei ce grand fail et ce grand principe, sans lesquels on ne la comprendrait pas, d’une sorte tie triple unite oit sont a la fois distincles et confundues la sensibility, I’inlelligence et la volonty, on congoit qu’avecdes divisions ou des facult6s secondaires qui ne sont que npuiinale-
92 DU SOMMEIL
inent diflerentes, on puisse arriver a des resullals en realitd idenliques.
Wais c’est a one condition : c’est a la condition qu’on s’en- tendra bien avcc soi-m6me, qu’on sera maiti e de son sujet; que sous les mots on satira deineler les choses; que, d’une part, sous lei ou tel nora de faculte, on ne confondra pas des fails psyclio- logiques tres difi'6rents et meine contraires ; et que, d’aulre part, on n’altribuera pas it plusieurs facultes diflerentes des fails ab- solument de meine nature.
Or, cesonlla des conditions que I’auteur du memoireir 2 n’a pas suflisamment remplies, et des lesultals prtiliminaires aux- quels il n’est pas completement arriv6.
Les facultes de I’amedans I’etat de veille sonl pour lui : 1“ des facultes actives, rattenlion et la volont6, laquellese divise essen- tiellement en sponlanee et en libre ; 2" des facultes passives : la sensibilile, distinguee en physique, morale et inlellectuelle, et I’intelligence, avec tout le corKige des auires facultes , depuis la perception externe jusqu’it la conscience et la raison.
Il y a dans ce point de depart quelquechose d’arbitraire, et par consequent d’inexact, qui preparait des consequences analogues. 11 y a plus que derexageralion a transformer ainsi I’intelligence el toules les faculles'danslcsquellesclle se subdiviseen facultes pu- rement passives; a separer aussi completement de rattenlion, le jugement, le raisonnement, la conscience et la raison. Une fois qu’on a atiribue a la passivite de I’ame, et ccite attribution est de droit, les inqtressions, les emotions de la sensibilitd soil externe, soil interne, il n’y a plus guere de facultes et d’actes de I’esprit qui n’aienl leur part d’atieniion et d’acliviie. L’esprit n’est pas passif dans la perception externe, et son attention y est bien voi- sine de la volonte. Dans I'imagination elle-mfime , dans la rae- moire, dans I’association des idees, dans ces actes ou la passivite inlellectuelle est si 6vidente, n’est-il pasde m6me evident qu’on nepeut pas nepas faire encore la part de I’altention?
Apres avoir ainsi envisage d’un point de vue au moins arbi-
AU POINT DE VUE PSYCIlOr.OGTQUE. 93
traire les facullfe inlcllecluelles it I’fitat de veille, I’auteur du meraoire n" 2 recherche ce qu’elles devicnnenl dans le soinmeil , et il arrive a des resullats dont la plupart sonl en harmonie avec ce point de depart.
II croit, par exeraple, que dans le sommeil, c’est-ii-dire dans les rfives, la sensibililfi est consid6rablementangmentde, et non- seulement celtc part de sensibililfi qu’il rapporte plus ou inoins bien ii une des facultes secondaires de I’intelligence, rimagina- lion, mais lonte la sensibility, celle du dehors comme celle du dedans; en un mot, pour nous servir de ses propres expressions, la sensibilite tant physique qu’ intellectuelle et que morale. Mais il n’est arrive, on le sent bien , a un pareil resultat , it tine assertion aussi contrairc it la veriie, aussi contraire 5 I’opinion si legitimement proverbiale de I’etatd’insensibilitydans le soni- meil , qu’en se perdant dans des designations arbitraires et dans des mots qui ont tenu pour lui la place des idfies et lui out cach6 la nature des choses.
Ailleursil commence par voir avec verild que si, dans le som¬ meil, dans lereve, ou au moiiis dans certains rdves, il reste une ombre de volonte, ce n’est que Tombre effaede de la volontd libre et responsable de I’dtat de veille, la marque encore subsis- tante du grand ouvrier sur son oeuvre. Mais le fait it peine adniis, il rapporte cette volonte du sommeil it une volonld spontanee qu’il distingue essentiellement de la volonte libre.
e’est lit une erreur it cote d’une vdrite, une denomination fausse, qui recouvi’e ou plutot qui deguise un fait psychologique vrai. 11 n’y a pas deux sortes de volontfi, pas plus dans I’etat de sommeil que dans I’dlat de veille. La volontd pent 6tre plus ou moins active, puissante, libre mdme, et tons les degres de puis¬ sance et de liberty elle pent les offrir dans I’diat de veille. Mais e’est toujours le mfiine principe, la meme volonte. Pas plus done dans le sommeil que dans la veille, elle ne doit Stre confondue sous une dynomination ou sousuue autre, soit avec le dysir, soil
ec la passion, soit memo avec I’habitude; et c’esl au ddsir, a
DU SOMMEIL
la passion, a I’habilude, a I’associatioii cles idees, quo doit 6trc rappoi’t6 tout ce qui, dans le soinmeil , sous le nom de volonte sponlan6e, aurait ia forme de la volonte sans en avoir la na¬ ture.
La distinction que fait I’auteur dn mSmoire n” 2 entre la volonte libre et la volonte sponiamSe, dont la dernifere settle persiste dans le rSve, se trouve reproduiic dans sa reponse ii la question capitale du programme : Quelle difference essen- tielle y a-t-il entre rgver et penser? Elle forme, en dfifiniiive, le fond de cette r6ponse , et cette r6ponse la voici : L’6tat in- lellectuel de veille consiste dans I’aclivit^ de toutes les facultes de I’ame, et plus particuliferement de la volont6, c’cst-a-dire de la volonte libre. Dans I’^lat de reve , an contraire , il y a , d’une part, accroissement de la sensibility soit physique, soit intellectuelle, soit morale; il y a, d’autre part, et surtout, sus¬ pension de la voloiity libre, qui fait place a la volonty sponlanee. Cette volonte spontanye du reve, non-seulement n’a rieu de commun avec la volonte libre , mais elle est si pen volontaire, que c’est a peine si Ton devrait lui conserver le nom de volonty. Non-seulement, dit I’auteur, nous ne voulons pas dans nos rfives, mais nous ne revous pas meme vouloir. Notre imagina¬ tion nous y suggerc, par exemple, Videe d’appeler du secours, mais non celle de vouloir en appeler.
S’il en est ainsi, ajouterons-nous, le reve, en fait mSme de volonty spontanee, n'offrirait pas plus la cbose qu’il ne i-yda- nierait le nom. L’idye, en effet , dans le reve, est un fait lout involontaire, nous ne dirons pas de conception , mais d’imagi- nation , de memoire, d’associations des idyes ; el bien moins que dans rytat de veille, elle ne saurait etre rattacbee ii une forme ou b un degre quelconque de la volonte.
Nous avons voulu donner cet exemple des difficultys et des contradictions auxquelles s’est exposy I’auteurdu mymoiren'’2, par la distinction absolue qu’il a cru devoir ytablir, pour I’ytat de rfive, entre la volonty libre et la volonty spontaiiye; dyguisant.
AU POINT DE VUE PSYCHOLOGIQUE. 95
rdp6tons-le, un fait vrai , I’absence de toute liberty clans le sommcil, sous une explication et une denomination fausses.
La derniere partie de son memoire est relative au somnain- bulisnie artificiel , duquel il convient de rapprocher ce qu’il dit du somnarabulisme natural.
Nous elevens d’abord loner I’auteur d’avoir, dans cette pariie de son ouvrage, rattachfi aussi 6troitement qu’il I’a pu , au soni- ineil et aux|reves ordinaires, les fails du souinambulisme spontane et niSme ceux qu’il croit pouvoir admetlre du somnambulisine artificiel ou magndiique, tel, par exeniplc, que le soniineil artificiel lui-ineme, sa dependance automalique et certaines de ses previsions, Mais ici encore nous avons ii bianier le dfifaul de m6thode, de precision, de clarle ; nous avons ^ signaler de nouveau cette excessive confiance en soi-meme qui acconi- pagne trop souveni une connaissance incomplete des reclierches et des opinions anterieurcs. Pour juslifier ce double reproclie, nous signalerons par exemple la reponse que fait I’auleur ii un des principaux probleuies que soulfive la question genfirale du concours, le probibme de la suspension ou de la permanence de la pensee dans le sommeil. En verlu d’inductions a la fois phy- siologiques etphilosophiques, I’auteur soutient, avecune ceiTaine force de raisonnemenl , la permanence de I’activiie iniellectuelle dans le sommeil; et il pense, D. Stewart mis a part, etre le premier qui ait resolu le probleme en ce sens.
Il y a une autre grande question du programme que I’auteur aborde aprbs celle-ci , la question de la conscience et de I’identite persoiinelle dans le somnambulisme naturel ; et il I’aborde et la rfisout, nous avons du plaislr a le dire, avec beaucoup de force et de methode.
Cette partie de sou memoire est une de cedes ou le raisonne- ment laisse le moins de place aux digressions oiseuses, aux dis¬ cussions embarrass6es, bien qu’elle n’en soit pas encore com- pl6lement exeinpte. Nous nous y etendrions davantage, si nous ne devious nous hater vers un travail ou nous trouverons les
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DU SOMMEir,
memes questions lrail6es et r6solues d’une facon bien siip^rieure et avec un veritable talent.
Pour nous r6sunier sur le menioire n'’2, voici ce que nous croyons pouvoir cn dire ;
Ce mcmoire est I’oeuvre d’un esprit pbilosophique, proba- bleinent jeunc, plein de curiosite et d’ardenr, mais d'une ar- deur qui a besoin de frein. Sous aucun rapport son travail ne pouvait pretendrc au prix ni memo b la mention honorable. Bien que le caractdrc en soil essentiellement psychologique, et qu'a ce point de vue il soit trfes superieur a tons les mfmoires examines jusqu’ici, il est pourtant loin d’avoir traits avec toute r^tendue et la profondeur desirables les principaux points de cette vaste question du soinmeil. La mSme ou il a apportddans ses recherches le plus de rigueur et de developpement, il laisse beaucoup a d6sirer pour I’exactitude des faits et la suret6 des doctrines.
Ce serait done un travail, tout sSrieux et estimable qu’ilest, et precisement parce qu’il a ce caractere, <i reprendre en sous- oeuvre, a approfondir et a rectifier; et si I’auteur, dans un but qui ne pent plus etre le prix, avait le courage de faire ce reraa- niement, voici ce que nous nous permettrions de lui conseiller :
Que d’abord et conform6ment au plan meme qu’il s’est trac6, il recherche plus exactement et plus minutieusement qu’il ne I’a fait, soit en vertu de sa propre observation, soit dans les archives de la science, les caracleres essentiels du sommeil, des songes et du somnambulisme.
Qu’il approfondisse et determine mieux la nature de I’intelli- gence a I’etat de veille, ses facultes et leurs vrais rapports; qu’a cet egard il ne se paie pas de mots, et qu’allant au fond des cboses, il se mette a meme de pfinetrer d’un ceil plus sur dans ces tenebres du sommeil ou il n’apparlient qu’a une psycholo- gie ferine et vraie de porter quelque lumifere.
Rlais qu’alors encore il ne croie pas trop b la surete de son regard et a I’infaillibilit^ de son jugement, Qu’il doute un pen
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plus de lui-m6me et im pen moins cles hommcs eminonis qui I’oiit precede dans celte voie. II faut 6Lre en possession d’une sup6rioiile bien incoiUest(5c, pour se permellre de criiiquer, jusque dans la forme de leurs id6es, dcs liommes qui, dans les carrieres de I’esprit, oiu passe leur vie et irouve la gloire a bien penser el a bien dcrire.
II y a un dernier conseil que nous voulons donner & I’auteur du ni6moire n“ 2.
La vivacil(5 de ses idees el I’ardcur de ses convictions donnent i) sa manifere de les exprimer un certain raouvement qui iiile- ressc. iMais dans ce mouvement quels manques frequents de gout et meme de convcnance ? Nous pourrioiis cet egard faire de nombreuses citations. Nous nous en abstiendrons, certains quo I’auteur m6me nous comprendra. Noussommes non moins convaincus qu’il regrettera et elTacera, pour ne jamais les re- produire, d’aulres fjutes ou le gout et la convenance ne sent pas seuls inl6ress6s ; car ce sont des fautes de respect pour des croyances et des traditions qui ont droit au respect de lous, et dont il n’y avail nullement hs’occuper dans le travail demaude par I’Academie.
Mi.\I0mE N" 5.
Le meraoire n" 5, un des meilleurs ouvrages pour lesquels votre section de philosophie ail jamais eu it vous demander le prix, est un volume petit in-foIio de 218 pages, d’une ficriturc fine et serree, portant les deux epigraphes suivantes :
« Dormientium animi maxime declarant dimnitatem suam. » (CiCERON, De Senectute, chap. 22.)
« L’liommc n’est absoliiraent ni ange, ni bSte ; mais le mallieur est que quand il veut faire I’ange il fait la bfile. » (Pascal, Pensies.)
Ces 'deux Epigraphes rEsumeiU et annoncent exacteinent les doctrines de I’auteur ; une doctrine gEiiErale sur I’liommc et sa double nature, une doctrine particulifere sur le soraraeil. L’homme n’esl ni ange ni bfite, il est un corps et un esprit, un ANKAL. MKD.-PSYCII. 2* s6rie, t. vii. Janvicr 1855. 7. ^
DU SOMMEIL
esprit dont le somraeil, aussi bien que la veille, dfimonlre la simplicite el rimraortalil6.
C’est la premifere fois que I’Acadfimie, sur la proposition de sa section de philosophie, livrait aux elTorts des concurrents une question toule de doctrine ; et cette condition du concours actuel eut pu on rendrc le jugement plus difficile ou plus d61i- eat, L’auteur du mfiinoire n" 5 nous a 6pargn6 la plus grande partie de cet embarras. Son travail, sauf un petit nombre d’ex- cepiions, est si Gdfele aux intentions de I’Academie; il remplit avec taut d’ordre et d’exactitude le cadre qui lui 6tait trac6 ; il apporle, dans toules les questions livrdes a son examen, une telle penetration et une telle solidite, que noire jugement pourra se bonier en grande partie a une simple analyse, oA de rares observations viendrout se mSler it rcxposilion somniaire des idees de I’auteur.
« Une grande partie de notre vie s’^coule dans le sommeil. I) L’homme dorl dans son berceau ; il dort dans son lit tie mort ; » on pourrait dire qu’il dort avant de nailre j on dit qu’il dort » dans la tombe. Q’est-ce done que le sommeil ? Quelle est cette » forme de notre existence qui alterne avec la veille, commeles » tenebres avec la lumiAre; qu’engendrent ou favorisent le » silence et I’obscurite ; dont les anciens faisaient un dieu, fils » de i’lilrebe et de la Nuit; plus mysterieuse encore que la vie, » presque aussi mysterieuse que la mort ? »
C’est en ces lermes elegants et vrais.qu’au debut mdme de son travail, I’auteur du m6moire n“ 5 enonce et dfiveloppe la question propos6e par I’Academie.
Le sommeil c’esi d’abord le repos de I’liomme, un repos dont les effels lui sont necessaires apr&s les fatigues et les pertes de retal de veille. C’est le repos de son corps et de son esprit.
Le repos du corps est incontestable ; il est sensible; visible ; il Test surtout dans ceux de ses organes qui soul en rapport plus direct avec les facultes et les actes de I’esprit, c’esl-5-dire dans les organes des sens et du mouvement. C'.est dansle repos
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de ces organes que congisleiit I’insensibilit^ et riminobilitS du somraeil.
Quaiil aux autres organes clu corps, aux organes de ceite partie de la vie qu’on a appelee la vie v(5g(5lative, plus n6ces=- saires dans leurs actes, a la conservation de la vie tolale, iis se reposent tnbins que les premiers, bien que tous se reposent Maisen sbmme, la r^sulianle, si Ton peut ainsi dire, du repos des deux ordres d’organes, suffit bien it cede reparation cor - porelle qui cst un des buts du soinmeil.
Nqus disons un des buls du soinmeil ; car nous venous de reniarquer que le soinmeil est it la fois le repos du corps et celui de I’esprit.
L’esprit se repose done comme le corps. Comme le corps, U a besoin d’une reparation de ses forces, qui, du calme et de rimmobilite de la nuit, le rende prompt et dispos aux nouvelles luttes du jour qui va suivre.
Oui, si nous en croyons I’auteur, I’esprit aussi se repose, mais il so repose dans le repos des organes ; et tous les organes du corps sent les organes de I’esprit. II leur est uni et comme associe b tous, aux organes des sens paries impressions qui lul en viennent, h ceux du mouvement par les ordres qu’il leur donne, aux organes de la vie vdg6tative par les Emotions qu’il en recoitet qu’il ne manque pas de leur rendre. G’est dans le repos de ces instruments, dans la suspension de leurs actes que I'es- prit trouve le repos qui lui est propre.
Ce qui le fatigue, ce n’est pas tant d'agir toujours, que d’agir toujours de la m@me facon, dans le meme but, dans la m@me direction, sur une mSine suite d’id6es. Pour qu’il se repose,' pour qu’il se donne ou receive une remission qui lui suflise, il lui suffit aussi que son attention, son activity puisse error sur une succession d’idfies de plus en plus diddrentes. Il lui suffit, dans le soinmeil comme dans la vcille, de rfiver. Or, cet dtat de rdve dans le soinmeil rdsulte pour I'esprit, du repos des or¬ ganes des sens, dont il ne reeoit plus d'impulsions, ou au inoins
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(I’inipulsions actives et suivies; clu repos des orgaiies du moii- veniciit, auxquels il n’a plus d’ordres a donner. II se trouve ainsi livrd sans direction et sans regie a quelques vagucs impul¬ sions du clchors; mais surlout aux organes de la vie vegfitative, dont les impulsions ne trouvent plus de contrOle. Ce laisser- aller de I’esprit, qui est pour son repos bien suffisant, ne discon¬ tinue pas pendant toute la durfie du sommeil. Sous aucun rapport, du reste, on ne concevrait qu’il en fut autrement. Non- seulement, selon I’auteur, I’esprit qui est la pensde, nepeut pas ne pas penser toujours, peu ou beaucoup, bien ou mal, sous peine do ne plus 6tre I’esprit; niaii^.. :^! ne jteut pas nepas r6fl6- cliir, et exprimer, comme l^^\eibnitif,3elon la nature d’un esprit, tons les mouvem^^ det^ -^^s auquel il est
uni, mouvements qui njS^esse^pj^^S' moM'iAussi I’autcur affirme-t-il qu’il n’y a p^de'"i^|^i|;:§^ e’est-a-dire sans quelques restes, qp^ues^^^: 'd4^pr^ffi[|»ns, de sensa¬ tions ou de pensees. Et 's|i onl^^te,' sur c^jim de la per- nianente activite de I’amadlins le ^tpi^s uMombrables cas de somraeils dont les sujets ^evbJile^^|^^^t sans conserver le souvenir d’aucun songe. 1 aujeur re^l^h que dans I’dtat ffiOme de veille, a la fin, a la moiiie de la journ^e, on ne se rappelle pas la dixifeme, la centieme partie de toutes les pensfies qui s’y sent produites; que dans le somnambulisme dont la m6- moire ordinairemeut ne conserve aucune trace, il y a toujours et nficessairemeut reve ou plutot peUsfie ; qu’il y a une foule de rOves dont I’existence est d6montr(5e, et dont le rOveur h son rfiveil ne garde aucun souvenir. EnCn, pour en revenir a la veille, elle nous offre plusieurs etats plus ou moins violents et anormaux, la fievre, I’ivresse, certains genres ou certaines formes de la folie, pendant lesquels se produisent des actes in- tellectuels qui nclaissentabsolument aucune trace dans 1’ esprit.
L’ esprit done ne dort pas, ne dorl jamais completement dans le sommeil. 11 en est empechfi par sa nature propre ; il en est empfiche par les conditions de son alliance avec les organes,
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lesquels non plus ne donnent jamais ni tous ni compldtement.
C’est I’alteralion de celte alliance, on plutot de I’^lat des or- ganes qui cn sont une des deux parties, qui determine dans le sommeil la nouvelie maniere d’etre et d’agir de I’esprit.
Une sorte de t61egrapliie electro-intellectuelle (et cette expres¬ sion n’est, bien entendu, qu’une image) ayant pour cadran le cerveau, transmet les ordres de I’esprit de ce centre aux extremes limites du corps, et lui en rapporte les impressions. Cette t616- graphie, dans I’^tat de veille, a ses appareils nerveux trfes com- plets ; il n’y manque ni un fil , ni la moindre longueur de fil. Ce qu’annonce le cadran , qui est le cerveau , est bien ce qui lui esl exp6di6 des plus loiiitaines parlies du corps; ce qu’il traus- met h ces memes parlies va jusqu’au lieu ou I’ordre s’adresse el y est ex6cui6.
Dans le sommeil au contraire et par I’effet du sommeil, I’ap- pareil est aux trois quarts ou aux neuf dixifemes emp6ch6; fils concenlriques, en d’aulres termes, nerfs sensitifs, nerfs moteurs, loutcela dort, est muet, sourd, immobile. Le cadran seul, le cerveau , veille, donne ii senlir, J penser encore ; il conslitue a lui seul tout I’appareil tfilegraphique ; a peine si quelques restes de fils nerveux , ceux qui ne vont gufere au deli de son enve- loppe osseuse, lui viennent en aide dans ces impressions fanlas- magoriques. L’esprit place derriere le cerveau commc I’liomme derriere le cadran tdlegrapliique, est iroiiipfi par ce jeu d’un appareil qui n’a plus qu’un centre et n’a pas d’extremit^s, Il prcnd des impressions cerebrales spontandes, sans occasion exlerieure acluelle, pour des impressions exterieures et no- males; il sent, croit, concluten cons6queiice, c’est-h-dire avec incoherence, desordre et contradiction. Il va plus loin : il doiine des ordres ; el ces ordres, I’elat de paralysie des orgaiies lui fait croire tanl6t qu’ils recoiveiit uiie execution bizarre, taniOt qu’une resistance plus bizarre encore en eiitrave I’accomplis- sement.
L’esprit fait ainsi, dans le sommeil, ce qu’il fait dans beau-
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coup de circonsiaiices de de veille, ce qii’il fait dans lo trouble de la fievre, de I’ivresse, de la folie, ce qu’il fait d’uiie manifel’e si frappante dans les illusions et les hallucinations; dans les illusions, oh il place sur des choses ou des itupressions exte* rieures reelles, scs propres inipressions, ses pfopres images; dans les hallucinations surtout , ou il transporte au dehors, sans d^sonliais auculie occasion, aucune provocation extdrieure, cea mfinies impressions, ces m6ines images, resUltat d’uile action s))Ontan6e et ddsordolinCe du cerveau. Enfln , dans certains etats de la veille la plus nornialo , se laissant aller a ses reveries, il transporte au milieu des scenes et parmi les objets du nionde rfiol ces fantomes qu’il tire de lui-mgine, de ses impressions, do ses iddes antfirlcures, niaisqui, pour le moment, n’ont pas d’autre realitdque celle que leur donnentd’un commun accord sa fantaisie et sa volOllte.
L’esprit, dans le sommeil et le reve, n’est done pas aussi dif¬ ferent de lui-m6me, de lui-mdme veillant et penSant, qu’il paralt retre au premier abord; sans doUte il r6Ve, mais il rgve en Vertu d’une activite , d’une facUltd de discernement qu’il ne saurait entierement perdre. Le corps, les orgaUes, leurs actions, leurs impulsions, dans le nouvel dtat ou le met le sommeil, lui four- nissent, ou plutot lui imposent des dl6ments, des occasions de sensations, d’images, de souvenirs, qui tfimoignent d’un grand desordre. Mais ce dfisordre, loin de I’accroitre et tudme de le sU- bir compietemeilt, I’espril cherche a le falre cesser. Il rapproche, commeil pent, les uns des autres ces lambeaux , ces membres 6pars, disjoints, undique collectis metnbrisj il les unit, les coud, pour en faire un tout, urns et alter assuitur pannus. Ce tout est, si Ton veut, unechimfere : la femme se termine en poisson ; mais enfm cette chimere, cette sir6Ue, e’est quelque chose, c’Cst Un 6tre, une erfiature, une creature de I’esprll; 6t sanS I’esprit, sans I’activlto qui lui reste, ce n’eUt dt6 rien ; les tUembres se^ raient restes (Ipars; les parties n’auraient pas fait un tout.
L'eSprit, dans les rfives , peut aller plus loin. iSes propres
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preoccupations, independatriinent de toute participation des organesy peuvent faire naltre le reve, comme le faire ceSsfer. Elies peuvent lui dOnner une forme, uii caraclere, ulio valCln' qui I’assimilent aux creations de l’6tat de veille, et qui , dans de certains cas , ii de certains figards et chez de certains espritS , I’ont raCme place 'au-dessus d’elles.
La pensCede I’auteur sur ce point delicat est rOsumee dans ces deux mots : « Tout ce qu’il y a de raisonnable et de possible dans los songes (comme dans la folie) vient de I’csprit; tout ce qu’il y a d’absUrde et de contradictoire, des organes. »
11 ne faudrait pourtant pas ouirer ce rOle, et ce poUvolr de I’esprit dans le sommeil, jusqu’a mettre le reve au niveau de I’Clat de veille. Pour mieux resler dans ia v6riie , il s’agit dO determiner quel est en definitive l’6tat deS facUltes de I’ame dans le sommeil et le rCve, et ce qui reste de ces facultes.
La sensibilite, par laquelle il faUt bien comnleticer, sUrtout quand on s’occupedu sommeil, se distingue d’abord en sensible lite externe et en sensibilite interne ; et elle a pour instruments, sous la premiere forme, les cinq sens ; sous la seconde, les Or¬ ganes intfirieurs du corps, Il y a, de plus, uno sensibilitO mo¬ rale.
Des deux premiOres espOces de sensibility, la sensibility exterile est celle qui, dans le sommeil, est le plus compiyte- ment absente, sans cependant manquer tout a fait; car, sousce rapport m6me, on pour le commerce des cinq sens avec le monde ext6rieur, il n’y a pas de sommeil complet, Le tact en parliculier n’est presque jamais entierement aboli. Cequi, dans le sommeil, dans le rgve, remplace, pour le travail de I’esprit, les Clements qui ne sent plus fournis par la sensibility externe, ce sont leS actes et les produils de I’imagiiiation ou de la my- raoire, ces deux facultCs nyes en quelque sortc de cetle pre- miOre forme de la sensibilite, et qui la lieraient h rintelligeiice proprement dite, si dejii elle ne lui Ctait unie par la nature myme de I’Sme et les liens de sa triple Unity,
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La seconde forme de la sensibility, la sensibilite interne, pourrait persister lout entiere ; car ses organes, les organes de la vie vegetative, ne sont point assoupis par le sommeil, nepeu- vent pas I’elre, et ils coniinuent d’agir. Ils fournissent, sans dome, d’importants matyriaux aux reves, mais des materiaux qui, la plupart du temps, pour 6lre perpus par I’esprit, ont be- soin de s’associer soil a ce qui reste de sensibility externe, soit aux images fantastiques fournies par rimagination et la my- moire.
Reste une troisieme sorte de sensibility, la sensibilite mo¬ rale. C’est cerlainement, parmi les facultes gynyralcs de Tame, une de celles qui sont les plus actives, le plus neccssairement, le plus const.imment actives, dans le sommeil ou le rove. Dysirs, sentiments, passions, voila, avec les images de la fantaisie, ce qui constilue le plus ampleraent et le plus indispensablement la vie inlellecluelle du sommeil; et, sous ce rapport encore, notre amc y cst si bien la mgme qUe dans la veille, que, loin d’y perdre le sentiment moral du bien, elle I’eprouve a un degry qui quelquefois va jusqu’a I’exaltation et au dyiire.
Aprfes la sensibility vient une autre grande faculty, une fa¬ culty genyrale de Tgine, qui semblerait de prime abord, et suivant le langage ordinaire, Stre absolument absente.du som¬ meil et du rgve : nous voulons parler de la raison. Quoi de plus dyraisonnable, en eHet, que le reve ; et le moyen de pryiendre que c’est la raison qui y est le plus prysente, soil dans son ca- ract6re gynyral, soit dans toutes ses facultys de dytail.
Cette opinion, d’apparence un peu singuliere, I’auteur du mynioire la dyveloppe avec beaucoup d’art ; il I’a dgja exposye prycydemmeut; mais il y revient avec plus de force dans celte partie de son travail. Ce qui est deraisonnable dans le reve, ce sont les eiyrnents dont il se compose, et que le corps et les fa¬ cultys spirituelles qui s’y ratlachent de plus pr6s mettent 4 la disposition de I’esprit, Mais la raison elle-meme, rintelligence, cette puissance li laquelle nous devons I’idyc et la connaissance
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AU POINT DE VqE PSYCHOI.OGIQDE. cle la v6rile, la raison cherche h tirer le moins mauvais parli possible de ces mauvais nialfiriaux; il est vrai qu’elle les regarde conime boiis ; et 1^ est son trouble, son erreur, I’essence, en un mot, du rSve. Mais I’intenlion de la raison estici lout ce qu’il y a de plus raisonnable, et Ton retrouve dans I’espril du rOveur le niOme amour du vrai que dans rhomme 6veill£; et dans son coeur, le mGme sentiment du bien.
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